LES BLANDIN : UNE FAMILLE AU CŒUR DE LA LUTTE CONTRE L’AMIANTE Profession

François-Félix Blandin sur la plateforme pédagogique de Formamiante
Publié le par Mathias LOVAGLIO

François-Félix Blandin sur la plateforme pédagogique de Formamiante

François-Félix Blandin est issu d’une famille d’industriels qui a inventé, en 1951, le premier procédé de projection de flocage sans aucune utilisation de l’amiante en France et dans le monde, d’abord commercialisé sous la marque Pyrolaine, puis Pistofibre. Aujourd’hui à la tête de l’Agence de prévention des risques du bâtiment (APRB), il nous raconte l’histoire des Frères Blandin, précurseur de bâtiments sans amiante, et nous livre son regard sur l’avancée de la gestion du risque amiante en France 25 ans tout juste après son interdiction.

Nous sommes aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. La France commence alors à mettre en place les premiers dispositifs de prévention des travailleurs et à prendre conscience des effets sanitaires de l’amiante1. « Dès cette époque, mon oncle Henri était déjà informé des problèmes de santé liés à l’amiante pour les projeteurs. Étudiant à l’École Centrale, Il avait effectué son stage de fin de cursus au sein d’une des 3 entreprises de projection qui se partageaient le marché de l’isolation et dont les dirigeants lui avaient confirmé la dangerosité de l’amiante. En effet, on commençait alors à constater des décès prématurés parmi les projeteurs d’amiante d’avant-guerre. » Avec ses frères, Michel et Philippe, ils avaient le projet de monter une affaire dans le bâtiment public. Ils fondent en 1951 la société Blandin et Compagnie et s’associent avec la Société des hauts fourneaux de Saulnes qui produit des fibres minérales synthétiques (laines de roche et de verre). « Conscients de la dangerosité de l’utilisation de l’amiante, mon père et mes oncles ont fait le choix de travailler, dès le départ, avec d’autres procédés. Ils ont donc mis au point la première machine à projeter des fibres minérales synthétiques en France mais aussi dans le monde2. Très rapidement, ils ont mis en avant que leurs produits étaient garantis sans amiante. C’était devenu une marque de fabrique plutôt qu’un argument commercial car ce n’était pas nécessairement ce que recherchaient les maitres d’ouvrage de l’époque. »

« Le procédé Blandin a contribué à la mise en place de la réglementation interdisant l’amiante dans les flocages »

Si sa famille s’est toujours tenue à l’écart des actions pour faire reconnaitre plus largement la dangerosité de l’amiante et parvenir à son interdiction, le procédé Blandin, très connu sous la marque Pistofibre, a néanmoins participé à la réduction de son utilisation. « La famille Blandin a beaucoup contribué à la disparition de l’usage de l’amiante dans les flocages. Le fait de développer un produit sans amiante a permis la mise en place de la réglementation de la fin des années 19703 en démontrant qu’il était possible de le remplacer dans l’une de ses utilisations phares, la protection incendie. »

Quant à François-Felix Blandin, il débute sa carrière alors que la France découvre le Scandale de l’amiante4. Depuis les années 1970, des scientifiques comme Henri Pézerat, à l’origine de ce qui deviendra le Comité anti-amiante de Jussieu (octobre 1994), et des lobbyistes de l’amiante5 s’affrontent. Mais il faut attendre le milieu des années 1990 pour que les choses basculent véritablement. « Je terminais mes études quand, en 1995, a été révélé le Scandale de l’amiante. Dès lors que les médias et l’opinion publique s’en sont emparés, l’interdiction de l’amiante est survenue très rapidement, à la plus grande surprise de ceux qui se battaient depuis de nombreuses années pour faire reculer son usage. L’Affaire du sang contaminé4 était encore dans toutes les têtes et notamment dans celles des politiques. Il y a un lien assez évident pour expliquer la rapidité avec laquelle la décision a été prise à partir du moment où le problème a été exposé sur la place publique. » Tout naturellement, François-Félix Blandin s’oriente alors sur la problématique de l’amiante dans les bâtiments. « Mon père, Michel, et mon oncle, Philippe, ont reçu des premières demandes de clients par l’intermédiaire du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) au sein duquel ils avaient des relations. Nous venions de perdre pied dans le milieu de l’isolation projetée et c’était pour nous une solution de repli intéressante en travaillant en tant que Bureau d’études techniques. C’est pourquoi, en 1996, avec la réglementation qui s’annonçait, nous avons pris la décision de créer l’entreprise6 appelée à être spécialisée dans les prestations intellectuelles amiante. »

À l’actif de cette entreprise, dont il tient désormais seul les rênes, de nombreuses missions dont une hors norme au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Saclay avant le démantèlement d’une installation nucléaire de base (INB) : « C’est l’opération la plus complexe que nous ayons menée car, en plus du risque amiante, il fallait tenir compte du risque radiologique. Nous avons réalisé plus de 700 prélèvements dont une trentaine d’analyses TFA7. Nous avons été parmi les premiers à envoyer ce type d’échantillons au groupe Eurofins. Nous avons alors défriché le diagnostic amiante en milieu radiologique ».

Avec une telle ascendance et une telle expérience, François-Félix Blandin porte forcément un regard intéressant sur la prise en compte de la problématique amiante dans les bâtiments depuis 25 ans : « Heureusement il y a eu une évolution. Si aujourd’hui bon nombre de maitres d’ouvrage publics réalisent les repérages nécessaires avant les opérations de rénovation et de démolition qu’ils projettent et appliquent une problématique amiante, ce n’était pas tout le temps le cas à la fin des années 1990 et au début des années 2000 où ils étaient encore nombreux à se montrer réticents, voire résistants. Les « anciens » disaient qu’ils avaient toujours travaillé ainsi. Il aura fallu une bonne dizaine d’années avant que les maîtres d’ouvrages, tant publics que privés, prennent conscience à quel point la réglementation bouleversait l’approche préventive de tous les chantiers de rénovation. »

« Les exposés d’aujourd’hui feront les morts de demain »

Pour autant, François-Félix Blandin estime que le combat est encore loin d’être gagné. « Il faut poursuivre ce travail de sensibilisation. Il y a eu un grand pas qui a été fait en France depuis 25 ans, comme chez nos voisins. Mais le chantier de la gestion du risque amiante est très loin d’être terminé. Les exposés d’aujourd’hui feront les morts de demain. C’est notre devoir de protéger les jeunes qui débutent dans le bâtiment. Or, je constate que dans les écoles (écoles d’architecture, écoles d’ingénieurs, CAP), la problématique de l’amiante est à peine abordée, si elle l’est ! De nombreux jeunes entrent dans les métiers du bâtiment sans jamais avoir entendu parler de l’amiante ! Alors que, très clairement, il s’agit de la plus grande question de santé pour ces métiers. Les études épidémiologiques démontrent depuis de nombreuses années que l’amiante est le principal enjeu sanitaire en milieu professionnel8, même s’il n’est pas question de négliger les autres risques comme la silice, les poussières de bois ou le plomb. Des efforts sont aussi à faire auprès des particuliers et des artisans ou encore d’autres opérateurs comme ceux d’ENEDIS qui sont régulièrement confrontés à cette problématique lorsqu’ils interviennent en partie commune ou en partie privative. Il y a un manque d’informations qui est criant. Enfin, j’observe encore avec beaucoup d’incompréhension que l’on finance sur deniers publics des programmes d’amélioration énergétique des logements sans contrôler que le risque amiante a bien été pris en compte. On trouve encore aujourd’hui des entreprises d’ITE ou de calorifugeage qui réalisent des travaux d’isolation thermique sans aucune information sur le risque amiante. J’ai un ami diagnostiqueur qui travaille pour une entreprise spécialisée dans la rénovation de calorifugeage subventionnée par le dispositif CEE. C’est cette entreprise, et non le maitre d’ouvrage, qui le missionne pour les repérages avant travaux. De la même façon, je ne comprends pas que l’on puisse autoriser le dépôt d’un permis de démolir sans attester d’une prise en considération de la problématique amiante. Il reste beaucoup de chemin à faire d’autant plus que les 25 ans qui ont passé ne sont rien par rapport à ce qui nous attend : nous avons encore devant nous probablement 50 années de chantier de désamiantage avant d’en finir avec l’amiante. »

Pour en savoir plus :

Revue de presse sur la famille Blandin

Gazette d’Eurocoustic qui aborde l’histoire et le rôle de la famille Blandin dans la création de l’usine de Genouillac (Creuse)

 

1 En 1945, l’asbestose est prise en charge comme maladie professionnelle et le port de protections respiratoires en cas d’exposition aux poussières dangereuses devient obligatoire en 1949.

2 Le procédé Blandin est caractérisé par l’emploi de fibres minérales synthétiques qui sont cardées et soufflées sur une surface à isoler puis agglomérées par un liant en poudre ou un liant spécial liquide pulvérisé simultanément à celles-ci (technique à laquelle s’apparente celle préconisée pour l’imprégnation des flocages d’amiante). L’absence de ciment utilisé comme liant évite dans le temps toute dégradation du produit projeté, due à l’acidité des ciments.

3 En 1977, la France interdit les flocages amiante dans les immeubles d’habitation puis, l’année suivante, les flocages contenant plus de 1% d’amiante sont interdits dans tous les bâtiments.

4 Dans les années 1980, en raison de prises de mesures de sécurité inexistantes ou inefficaces, de retard dans la prise de décisions préventives de protection et/ou curatives, de défaillances médicales, industrielles et administratives, de nombreux hémophiles et patients hospitalisés ont été contaminés par le VIH ou l’hépatite C à la suite d’une transfusion sanguine. L’affaire est considérée, par le nombre des victimes, sa durée et l’intensité de la crise institutionnelle qu’elle a engendrée au sein de la société civile, politique et médicale, comme la première grave et profonde crise sanitaire de l’Histoire française moderne.

5 En 1982 est créé le Comité permanent amiante (CPA), une organisation regroupant notamment des scientifiques, des industriels, des hauts-fonctionnaires et des syndicalistes, qui exerça un lobbying en faveur d’un « usage contrôlé » de l’amiante jusqu’à sa dissolution en 1995.

6 CIFTRAM (Conseil en isolation par flocage et traitement de l’amiante), devenu APRB en 2002 (Agence de prévention des risques du bâtiment)

7 Analyses d’amiante sur matrices très faiblement radioactives

8 L’exposition à l’amiante est la deuxième cause de maladie professionnelle en France après les troubles musculo-squelettiques (TMS) et la première cause de décès d’origine professionnelle.

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