DENIS MORA : « LA GOUVERNANCE D’AC ENVIRONNEMENT AVAIT BESOIN D’UN NOUVEL ÉLAN » Profession

Publié le par Alain PERIE

Dans un long entretien accordé à Diagactu, Denis Mora confie son état d’esprit après son départ du Groupe AC Environnement, une entreprise qu’il a cofondée en 2001 et menée au rang de leader du secteur. Il dit sa fierté de « l’aventure humaine », celle « d’avoir vu des collaborateurs grandir et s’épanouir » chez AC Environnement. Et il se tourne bien sûr déjà vers de nouveaux projets. Denis Mora quitte également à regret le syndicat SIDIANE, mais évoque les grands chantiers à mener selon lui pour accélérer la structuration de la filière et le développement du marché du diagnostic immobilier.

Denis Mora, quelles sont les raisons de votre départ du Groupe AC Environnement ?

Mon mandat a pris fin mi-mai. La gouvernance avait besoin d’un nouvel élan et d’un renouvellement. J’ai créé AC Environnement avec Pierre Déroche il y a 21 ans et il était temps de tourner une page après 4 années de gestion sous LBO* qui ont été intenses entre la problématique des laboratoires, la structuration du marché, l’affaissement des marges, une transformation digitale ambitieuse du groupe, le Covid ou encore le PGE. Tous ces sujets ont été extrêmement énergivore dans leur gestion quotidienne. Des entreprises comme AC Environnement demandent une implication sans faille de la présidence et un niveau de confiance très élevé entre le président et son actionnaire. Et quand ces deux éléments sont ébréchés, il ne faut surtout pas que l’entreprise se retrouve en danger et donc c’est une décision concertée qui a été prise avec l’actionnaire de passer la main à Dominique Bisaga, désormais à la tête du groupe et dont j’ai soutenu l’arrivée. C’est toujours une tâche compliquée de succéder à l’un des fondateurs d’une entreprise et je lui souhaite tout le meilleur.

Comment avez-vous vécu ce départ d’une entreprise que vous avez fondée et menée au rang de leader du secteur ?

J’ai vécu une expérience très riche, le meilleur et le plus dur, des victoires et des défaites. Je reste forcément très attaché aux personnes qui ont contribué à faire de ce groupe ce qu’il est aujourd’hui, mais également à l’environnement et aux interactions qui s’y créent. On peut avoir le sentiment de les abandonner un peu dans un moment compliqué… Mais je reste évidemment en contact avec des collaborateurs qui sont devenus avec le temps des amis. Quand on partage 20 ans d’une tranche de vie professionnelle, on dépasse cette simple relation. AC Environnement, ce n’est pas Pierre Déroche, Stéphane Sanchez ou Denis Mora, c’est avant tout une équipe composée de collaborateurs de très grande valeur. Je conserve un regard bienveillant et attentif sur AC Environnement et sur la filière car c’est un métier dans lequel j’ai grandi et évolué. Je n’ai pas un sentiment d’inachevé au niveau d’AC Environnement et je reste très confiant sur la trajectoire empruntée par le groupe. Au contraire, j’ai le sentiment du devoir accompli et d’avoir pris une décision finalement mure et justifiée. La page se tourne et elle est lourde, mais je me tourne vers l’avenir. En revanche, s’il y a une frustration, c’est celle de ne pas être allé au bout de la mission SIDIANE car la filière souffre de nombreux maux et ce qui est engagé aujourd’hui est d’une très bonne facture.

De quoi êtes-vous le plus fier et quel est votre plus gros regret ?

Le vrai plaisir, c’est d’avoir accompagné et fait grandir un nombre très important de personnes chez AC Environnement. Au-delà d’avoir développé un groupe leader du diagnostic immobilier qui est finalement l’histoire d’une entreprise au niveau capitalistique, la vraie fierté reste l’aventure humaine. La fierté c’est d’avoir vu des collaborateurs grandir et s’épanouir chez AC Environnement. L’humain sera toujours au cœur de la performance de l’entreprise et je crois que collectivement nous l’avons prouvé.
Le vrai regret, c’est que j’ai pris beaucoup de plaisir à échanger avec mes confrères au sein de la CDI-FNAIM d’abord puis au sein du SIDIANE ensuite et que j’aurais dû le faire beaucoup plus tôt. Au lieu de ressasser nos vieilles querelles, nous aurions dû nous parler pour moins subir la réglementation. Nous avons tous été acteurs de la destruction de valeurs dans notre métier. Avec des prix qui ont diminué de quasiment 40% en 7 ans, il ne faut pas chercher beaucoup d’autres raisons aux tensions dans la filière. Je pense que nous n’avons pas été raisonnables. Si nous avions eu une fédération unique, cohérente, dans laquelle le dialogue aurait été quelque chose de simple, je pense que nous n’en serions pas là aujourd’hui.

Vous avez fait partie des membres fondateurs de SIDIANE, syndicat que vous devez quitter également conformément à ses statuts puisque vous ne détenez pas de mandat opérationnel. Quel regard portez-vous sur son action ?

SIDIANE est entre de bonnes mains et fait bouger les lignes. Depuis sa création, je remarque que les autres fédérations se mettent également à bouger. Les combats qui sont menés aujourd’hui sont très médiatiques puisqu’ils sont tournés autour de l’énergie. Ce sont des combats que je partage, mais celui sur le DPE, nous le menons depuis le début. Depuis 2008, nous avons des algorithmes de calcul qui sont faux, nous ne sommes pas capables de faire un même DPE d’un logiciel à un autre, nous avons un problème de montée en compétences des opérateurs. Nous n’avons pas été suffisamment entendus car nous n’avons pas été suffisamment fortement représentés et les erreurs se sont répétées en 2012 avec la version 2 et en 2021 avec le lancement du nouveau DPE. Le dossier n’est pas nouveau. J’avais averti sur l’opposabilité du DPE. Quand on est sorti du Covid, en septembre, et que les médias n’avaient plus grand-chose à se mettre sous la dent, ils ont bondi sur un sujet qui est tellement facile qui s’appelle le DPE, de façon totalement légitime. À nouveau la profession n’était pas prête car cela demandait des efforts qui sont colossaux.

« Sans opérateurs, pas de croissance et sans croissance, pas de création de richesses ni de développement d’entreprises »

Mais la profession ne vit pas que du DPE. C’est très bien de se positionner sur ces sujets sauf que l’énergie ne représente qu’environ 5% du chiffre d’affaires de la filière et donc il faut aussi savoir se concentrer sur les 95% autres. Il y a bien d’autres sujets dont celui qui me parait être le principal : attirer de la matière grise et des ressources dans notre filière. Nous manquons tous cruellement de main d’œuvre. On en parle beaucoup dans les médias pour la restauration, les avions, etc. Mais le monde du diagnostic est également fortement touché. On voit cette filière qui se développe beaucoup, mais le nombre de diagnostiqueurs n’a pas suffisamment évolué ces 5 dernières années. On a un marché qui est colossal, mais on est sous-capacitaire en termes de traitement et on n’arrive pas à recruter ni à conserver des collaborateurs de valeur dans cette filière. Je crois que c’est le premier défi qui doit être relevé par l’ensemble des acteurs. SIDIANE l’a érigé en priorité. Sans opérateurs, pas de croissance et sans croissance, pas de création de richesses ni de développement d’entreprises. Aujourd’hui tout le monde est très actif sur l’énergie. Mais cela demande de former des collaborateurs dans des cursus qui sont très différents car au-delà de la certification. Cela veut dire qu’il faut des capitaux pour de l’autofinancement. Mais aujourd’hui toutes les entreprises de diagnostic sortent du Covid, ont toutes des PGE, ont toutes un niveau de trésorerie qui est affaibli. Avant d’être vaillant sur la partie diversification, c’est déjà l’existant qui doit nous occuper. Et l’existant c’est réfléchir vraiment à ce système de certification individuelle qui nous coute très cher avec des résultats en termes de qualité qui sont assez complexes. On constate aussi que les assureurs sont effrayés par notre profession. Ce qui s’est passé pour la FIDI avec un acteur historique est loin d’être anodin. C’est assez brutal même comme information. Il y a une vraie urgence dès lors que l’appauvrissement de la filière met en péril la relation contractuelle avec un assureur.

Que préconisez-vous pour assurer la pérennisation de notre profession ?

Déjà pas en faisant seulement des audits énergétiques ! Aujourd’hui vous avez 11 000 diagnostiqueurs immobiliers. Ils ne vont pas faire que de l’audit énergétique. Il faut vraiment rester concentré sur l’essentiel de notre système. Il faut également réfléchir à la valeur du diagnostic immobilier, c’est pour ça que SIDIANE parle plutôt de contrôle technique de l’habitat parce qu’il faut arrêter de subir un marché d’urgence qui met à mal la filière. Ce marché d’urgence génère des recrutements dans la précipitation, des formations à la hâte et un système qualité défaillant. Il faut passer à un système de contrôle qualité qui permettrait en plus d’apporter des informations plus qualifiées avec un système de contrôle technique de l’habitat qui ne soit pas assujetti à la transaction, à la location ou aux travaux mais qui soit assujetti à la simple vie d’un bien, que vous soyez propriétaire occupant ou exploitant, sur le même système que le contrôle technique automobile. Ce sont des changements de fond dont a besoin la filière. Cette profession a un bel avenir pour peu qu’elle puisse se régénérer dans ce système. Ce sont des combats importants dont les fédérations doivent s’emparer et sur lesquels elles doivent échanger, en bonne intelligence.

La filière du diagnostic immobilier a énormément grandi en 20 ans. Quelles sont les évolutions les plus remarquables que vous avez pu constater ?

En 2001, c’était un peu le Far West. On est tous arrivé avec nos chevaux, on s’est marché sur les pieds, on s’est regardé de travers, on ne s’est pas parlé, on n’a pas communiqué, on était juste en conquête de parts dans un marché qui en délivrait énormément. Le but était d’avoir l’entonnoir le plus large pour en capter le plus. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un marché beaucoup plus mature. La finance a fait son apparition en 2013 avec le premier LBO (en 2015 chez AC Environnement). C’est le signe d’un certain niveau de maturité de la filière. Les entreprises se sont beaucoup équipées en compétences techniques et ont progressé en termes de qualité. Mais on sait que ce n’est pas suffisant.

« Il faut refaire confiance à l’entreprise pour habiliter ses opérateurs »

Le problème c’est qu’on est obligé de mettre à la hâte des opérateurs sur le terrain tout en sachant très bien que leur cursus de formation n’est pas achevé. En prenant ce risque, on sait aussi qu’on va avoir une sinistralité qui va augmenter. Les efforts de la filière à travers les certifications ont permis de gagner en qualité, en maturité et en compétences. Il y a encore des fondateurs dans cette filière dont il faut profiter de la présence parce que ce sont des témoins de l’évolution du métier, mais il faut que le métier continue de grandir et de se structurer. Pour cela, il faut refaire confiance à l’entreprise pour habiliter ses opérateurs. Il faut leur laisser le temps d’envoyer sur le terrain des opérateurs qui ont au moins six mois de formation. Chez AC Environnement, nous avons engagé le virage énergétique en recrutant sans difficulté des opérateurs avec des profils « Energie ». Pourquoi ? Parce qu’entre 3 000 et 4 000 étudiants sortent chaque année du système universitaire avec des cursus Energie « prêts à l’emploi » pour intégrer les entreprises. Ces 3 000 étudiants, nous ne les avons pas dans le diagnostic immobilier. On croit que les faire passer dans une moulinette de 5 jours de formation est un sésame pour faire un diagnostic amiante. On se moque de tout le monde, du consommateur, du COFRAC, etc. Évidemment, quelqu’un qui passe 5 jours en formation amiante n’est pas capable de gérer un diagnostic amiante avant travaux puisque la seule chose qui fait qu’on soit capable de le gérer, c’est l’expérience. Et l’expérience, c’est accompagner l’opérateur en mission, c’est vérifier les prélèvements qu’il fait, c’est vérifier les PV d’analyse en retour, c’est se forger des convictions sur les produits, etc. Tant qu’on ne passera pas par un système où c’est l’entreprise qui habilite ces opérateurs avec l’aide de l’État pour prendre en charge cette montée en puissance des diagnostiqueurs, on n’arrivera pas à décoller et à parvenir à la forme finale de notre marché qui est un marché qui va ressembler aux bureaux de contrôle. Quelque chose qui sera très cadré et qui sera très réglementaire. On est sur la bonne voie, mais il reste encore des marches à franchir, et des marches assez hautes.

Quels sont maintenant vos projets pour la suite ?

Dans ces situations, on se dit toujours qu’on va faire un break après 21 ans d’entrepreneuriat, mais ce n’est pas dans ma nature. Le but c’est quand même de profiter de l’été en famille, mais les projets sont multiples et vont vite arriver. Tout d’abord, au niveau personnel, en faisant reconnaitre mes compétences avec la validation d’acquis. Et j’ai deux projets professionnels, un d’envergure sur un marché résilients assez éloignés du contrôle, et un deuxième autour de la création d’un bureau de consultant. J’ai constaté beaucoup de qualité intellectuelle mais trop peu d’expérience professionnelle aboutie auprès des consultants que j’ai eu plaisir à côtoyer. J’aime le monde de l’entreprise et souhaite désormais mettre mon expérience au service des nombreuses PME qui vont devoir relever de multiples défis dans un contexte économique plus que jamais incertain.

*LBO : Levery buy out (ou rachat d’entreprise par effet de levier) : opération d’acquisition d’entreprise financée par l’endettement au travers d’une holding.

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