DENIS MORA : « QU’ON ARRÊTE DE SE FAIRE DICTER DES CHANGEMENTS STRATÉGIQUES DANS NOS ENTREPRISES » Technique

Publié le par Alain

Sous le feu des critiques depuis la décision du Conseil d’Etat suspendant, sur sa requête, l’obligation pour un opérateur amiante de détenir la certification avec mention pour réaliser le nouveau repérage avant-travaux, Denis Mora, président d’AC Environnement, a souhaité s’expliquer en répondant aux questions de DiagActu.

 

Denis Mora, pourquoi est-ce AC Environnement qui introduit un recours sur un texte réglementaire aussi important pour notre métier plutôt qu’une organisation professionnelle dont c’est a priori davantage le rôle ?


Tout simplement parce qu’on a senti qu’il était nécessaire et urgent d’agir puisque d’autres ne le faisaient pas. Selon moi, il est inacceptable que l’on rende incompétente du jour au lendemain une majorité des opérateurs de repérage, dans les grandes entreprises qui crient au loup aujourd’hui comme -ce qui est plus pénalisant, voire mortelle, pour elles- dans les toutes petites entreprises de diagnostic. Cette décision du Conseil d’Etat débloque la situation et dissipe le flou juridique né cet été. Grâce à notre recours, tous les acteurs du marché, y compris les plus petits, pourront s’adapter dans de meilleures conditions, tandis qu’il va permettre aux ministères concernés de travailler rapidement à la publication d’un arrêté remplaçant l’arrêté « certification » annulé en juillet dernier. Nous avons agi au bénéfice de toute la profession et cela va au-delà du positionnement de la FIDI qui a encouragé massivement ses adhérents à passer la mention.


Pourtant la plupart des acteurs étaient prêts. 43% des opérateurs sont certifiés amiante avec mention, ce n’est pas rien.


Effectivement, cela signifie que plus de la moitié des opérateurs ne le sont pas et qu’ils sont donc mis à l’écart du jour au lendemain ! Conséquence d’une application immédiate de l’arrêté.  C’est déraisonnable en termes de défense de l’emploi et de la santé économique et financière de toutes les entreprises du secteur.

 

« Plutôt que l’invective et le spectacle assez pitoyable proposé par certains ces derniers jours, ne devrions-nous pas nous mettre tous autour de la table ? » 

 

Mais surtout, cela ne permet pas une application sereine et crédible d’une réglementation aussi importante sur le plan de la santé publique que celle sur la généralisation du RAAT. Imaginez si chaque particulier appelait un opérateur de repérage avant de réaliser des travaux ! Il s’agit d’un marché colossal que la profession ne peut pas absorber aujourd’hui en l’état. Prétendre le contraire est irresponsable. Cette nouvelle donne du marché ne doit pas être prise à la légère. Plutôt que l’invective et le spectacle assez pitoyable proposé par certains ces derniers jours, ne devrions-nous pas nous mettre tous autour de la table pour l’appréhender intelligemment, collectivement, en garantissant d’abord la satisfaction de nos clients et la préservation de leur santé et celle de ceux qui interviendront sur les chantiers ?  C’est notre responsabilité d’entrepreneur-diagnostiqueur.


Ne pensez-vous pas que cette suspension de l’obligation de détenir une mention est un mauvais signal et peut contribuer à tirer la profession vers le bas en termes de niveau de formation et au final de qualité de prestations ? C’est d’ailleurs le reproche que beaucoup d’acteurs du marché font régulièrement concernant celles opérées par AC Environnement.


Je n’ai pas à défendre la qualité de nos prestations auprès des acteurs de la filière. Le seul patron dans notre métier, c’est le client. Si AC Environnement assurait des prestations aussi médiocres que certaines mauvaises langues, généralement des concurrents, le prétendent, il est évident que nous n’aurions pas connus une telle croissance et que l’entreprise aurait périclitée, à l’instar de certaines enseignes qui ont disparu ces dernières années pour avoir utilisé des procédés extrêmement condamnables. Ce n’est pas notre cas. Toutes les personnes qui viennent nous rejoindre peuvent témoigner du bienfondé de notre démarche qualitative. Et d’ailleurs je suis convaincu que la plupart des très bons élèves de notre métier sont dans nos rangs. Aujourd’hui, chez AC Environnement, on recrute des profils bac+3 en techniques du bâtiment parce qu’on considère qu’il s’agit du niveau de formation initiale nécessaire pour former des opérateurs de qualité. Pour autant le passage de la mention par nos techniciens n’est pas mécanique. Il leur faut d’abord faire leurs preuves et s’aguerrir sur les problématiques complexes de l’amiante. Je peux vous assurer que notre process d’intégration est extrêmement maitrisé.

 

«  Il est tout de même ahurissant qu’on exige une mention amiante lorsqu’un bailleur social veut changer un revêtement dans une chambre et qu’on laisse un diagnostiqueur sans mention aller faire un avant-vente dans une propriété de 250 m2 ou un château. » 

 
Etes-vous malgré tout favorable au double niveau de certification en amiante ?


Nous sommes très en phase avec cette obligation de mention amiante, notamment pour l’avant-travaux. Je considère que la problématique telle qu’elle a été abordée par le législateur constitue une réelle avancée et j’ai d’ailleurs toujours défendu la nécessité de la mention amiante, ceux qui me connaissent le savent bien. Pour autant, je pense qu’il est nécessaire qu’on arrête de se faire dicter des changements stratégiques dans nos entreprises. Il est tout de même ahurissant qu’on exige une mention amiante lorsqu’un bailleur social veut changer un revêtement dans une chambre et qu’on laisse un diagnostiqueur sans mention aller faire un avant-vente dans une propriété de 250 m2 ou un château.

 

Dans un communiqué, la fédération interprofessionnelle du diagnostic immobilier (FIDI) a vivement regretté votre initiative à l’encontre d’un texte qu’elle juge « bon et utile pour la profession ». « Les Petits ou Grands patrons responsables font le choix de la certification avec mention », écrit-elle notamment, en concluant : « Un entrepreneur responsable est un Grand patron ».


Si la FIDI considère par ces termes que je suis un petit patron, alors elle a raison. J’ai intégré ce métier en 2002 et, avant de manager 700 collaborateurs, nous n’étions que deux, à Roanne dans la Loire. À cette époque, j’aurais d’ailleurs apprécié que les grands acteurs soient aussi bienveillants que l’est AC Environnement aujourd’hui à l’égard des cabinets indépendants qui vont être confrontés à une demande massive de RAT sans forcément avoir le temps de se structurer comme nous, nous avons pu le faire ces 17 dernières années. Nous ne sommes pas dans ces guerres de clochers entre entreprises qui essayent d’exister sur ce marché de l’avant-travaux. Il y aura du travail pour tout le monde, ce n’est pas le sujet.

 

« La FIDI a certes beaucoup de sujets à traiter, mais leur rôle est aussi d’être bienveillant et de reconnaître que chacun est libre de sa stratégie d’entreprise. »

 

Nous intégrons une centaine de collaborateurs par an qui viennent d’horizons différents et je n’ai aucune leçon à recevoir concernant notre process d’intégration de qui que ce soit. Si AC Environnement en est là aujourd’hui, c’est parce que nous nous sommes concentrés sur nos process et pas sur ceux des autres. La FIDI a certes beaucoup de sujets à traiter, mais leur rôle est aussi d’être bienveillant et de reconnaître que chacun est libre de sa stratégie d’entreprise. Moi j’essaye de mettre mon expérience de ce métier au service de mon entreprise. J’essaye de prendre des décisions réfléchies et certaines d’entre elles visiblement semblent déranger parce qu’elles ont fait leur preuve. Avec une entreprise qui se porte bien, qui continue de croître, d’innover et d’imaginer notre métier demain.


Quelle est votre vision de la nécessaire montée en compétence de notre filière ?


Le circuit est bon, mais il faut arrêter de fantasmer et de mettre des opérateurs devant des présentations PowerPoint puis de considérer qu’ils sont compétents. Faire monter en compétence un opérateur aujourd’hui, c’est lui offrir un service d’accompagnement en continu. L’approche de la problématique amiante dans le bâti est extrêmement complexe. Dans ce métier on progresse en observant des matériaux, en faisant des prélèvements, en étudiant des retours de PV d’analyses. La mention, c’est très bien ; il est légitime que le législateur attende une montée en compétence de notre filière puisque notre métier est réglementaire. Mais, ce n’est pas parce que vous avez le permis de conduire que vous allez rouler immédiatement sur l’autoroute. Le vrai sujet, c’est l’accompagnement en entreprise, notamment dans les plus petites d’entre elles. Ce sont tout de même les indépendants qu’il faut accompagner car ce sont eux qui assurent l’essentiel du maillage national, ce sont eux qui vont permettre de faire appliquer au quotidien la réglementation sur le RAT. Ceux-là ont du mal à s’organiser parce qu’ils sont seuls et isolés. Ce ne sont pas AC Environnement, Socotec, ADX, Dekra ou Bureau Veritas qui font ce métier-là. Nous évoluons dans un marché qui s’atomise. C’est un enjeu pour la profession, pas uniquement pour AC Environnement. A nous de grandir tous ensemble.


Propos recueillis par Alain Périé.

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