LA PRATIQUE DITE DES « PRÉLEVEURS SS4 » EMPOISONNE LE MARCHÉ DE L’AMIANTE Technique

Publié le par Alain

Sur le marché du repérage de l’amiante, certaines entreprises contournent la réglementation en faisant réaliser les prélèvements par du personnel non certifié. Une pratique qui ne semble pas illégale en l’état actuel de la réglementation mais qui est inadmissible sur le plan déontologique. Alertée, la DGT s’apprêterait enfin à taper du poing sur la table.

 

Dans plusieurs entreprises de diagnostics immobiliers de grande et moyenne taille et quelques réseaux intégrés et bureaux de contrôle, la pratique dite des « préleveurs ss4 » est désormais établie comme un système organisé, une véritable stratégie de production. Elle consiste à embaucher des techniciens non certifiés pour réaliser les prélèvements sur site dans le cadre de missions de repérage avant-travaux ou avant-démolition. Les rapports étant ensuite rédigés et signés par un opérateur dument certifié de la même entreprise.


Selon les témoignages recueillis par DiagActu, dans certaines de ces entreprises et réseaux, un seul opérateur certifié peut rédiger et signer quotidiennement jusqu’à une dizaine de rapports de repérages, dans différents sites parfois situés aux quatre coins de la France, assurés par ces préleveurs dont la rémunération et le coût sont bien sûr très inférieurs à ceux d’un opérateur certifié et correctement formé.


Un ancien technicien salarié d’une de ces entreprises (il souhaite garder l’anonymat), aujourd’hui installé à son compte, le confirme. « Dans le cadre de marchés publics pour des bailleurs sociaux notamment, le système s’avère très rentable pour l’entreprise. Les programmes de travaux y étant préétablis, on embauche à tour de bras en CDD des techniciens sans qualification, on les forme deux jours en sous-section 4 dans le centre de formation interne, avant de les envoyer sur le terrain, raconte-t-il. On les transforme en « robots » qui prélèvent sans réfléchir là où on leur a dit de prélever, sans être toujours capables de contextualiser. S’ils sont confrontés à une situation inattendue, ils n’ont pas les compétences techniques pour réagir de façon pertinente ». Avec le risque d’établir des repérages potentiellement inopérants.

 

« Ces techniciens s’usent prématurément dans des missions dévalorisantes »

 

Car, selon Edouard Carvallo, président d’ADX Groupe, qui réclame une réaction rapide des pouvoirs publics, dans le cadre de ces repérages complexes « la cohérence des ZPSO est liée à l’observation scrupuleuse de chaque sondage et prélèvement, et chaque sondage doit répondre à un programme de travaux aussi bien dans sa localisation que dans sa profondeur. Sondage dont la pertinence est bien le fruit de connaissances techniques ».

 

C’est donc l’efficience des rapports de repérage avant-travaux et avant-démolition qui est dangereusement impactée avec des risques graves sur la santé des intervenants ultérieurs et des occupants des immeubles. 

 

Pourtant cette organisation n’est pas clairement illégale. Si l’opérateur qui réalise le repérage semble bien devoir être celui qui rédige et signe le rapport, les textes actuellement en vigueur permettent cependant l’intervention sur site « d’assistants », des techniciens préleveurs non certifiés mais formés en sous-section 4, s’ils sont encadrés par un opérateur dument certifié. Une faculté abusivement exploitée par ces entreprises. 

 

Légale peut-être, mais inadmissible sur le plan déontologique. La course à la compétitivité ne peut en aucun cas justifier de mettre en danger la santé de ses salariés. « Ces techniciens s’usent prématurément dans des missions dévalorisantes, d’où un fort turn-over dans ces entreprises, nous confie un autre diagnostiqueur témoin de ces pratiques, et, surtout, ils risquent de s’exposer gravement. Car lorsqu’un technicien réalise 40, 50 voire 70 prélèvements par jour dans divers bâtiments, il ne peut pas systématiquement mettre une combinaison, un masque et des gants ».

  

Un déséquilibre concurrentiel au détriment des plus petites structures


D’autre part, cette stratégie de préleveur fausse gravement le jeu concurrentiel, notamment au détriment des toutes petites structures, très nombreuses sur le marché. La grande majorité de ces repérages étant sous appels d’offre avec des règles d’attribution à 40% sur la technique et 60% sur le prix, une entreprise utilisant le système des préleveurs se voit en effet avantagée par rapport à l’entreprise voulant faire le travail avec des opérateurs certifiés et qui plus est certifiés avec mention. En outre, cette organisation génère au final un surcoût pour les donneurs d’ordre car les préleveurs, afin de compenser la méconnaissance du métier et de la mission, réalisent de nombreux prélèvements inutiles.

 

Il semble néanmoins qu’une prise de conscience se fasse enfin jour au sein de la profession sur ce sujet longtemps resté tabou. La FIDI et la CDI FNAIM ont alerté très récemment la Direction Générale du Travail (DGT). Celle-ci, qui semble découvrir ces pratiques, s’apprêterait à prendre une circulaire afin de faire cesser ces graves situations à risques et cette concurrence déloyale. 


Sans une rapide intervention des pouvoirs publics, ces dérives pourraient s’accélérer avec la réactivation prochaine de la certification amiante avec mention. Un tel « obstacle » devrait en effet amener ces entreprises à recourir toujours plus massivement aux « préleveurs ss4 », avec le risque que le niveau moyen de qualification des opérateurs de la filière continue de baisser dans les années à venir…

 


 

La FIDI et la CDI FNAIM fermement opposées à ces pratiques

 

Interrogées par DiagActu, les deux principales fédérations de diagnostiqueurs se prononcent sans ambiguïté contre ces pratiques dite des « préleveurs » et ont toutes deux contacté ces derniers jours les autorités compétentes afin de les sensibiliser sur ces problématiques.

 

Lionel Janot, président de la FIDI, a réaffirmé récemment, lors d’une intervention aux côtés de la CRAMIF et de maîtres d’ouvrage, la nécessité de missionner des professionnels certifiés amiante avec mention, une qualification « indispensable afin d’être assuré d’obtenir des prestations de qualité opérées par professionnels formés et qualifiés ». Il y a mis en garde les maîtres d’ouvrage qui seraient tentés de profiter du vide juridique actuel sur les risques auxquels ils s’exposent sur le plan de la couverture d’assurance.

 

De son côté, dans un courrier adressé à la DGT, Thierry Marchand, président de la CDI FNAIM, proposait sa définition d’un repérage réalisé dans  l’esprit de la réglementation en vigueur. « Il est indéniable, écrit-il, que le dispositif de la certification de compétence de la personne physique qui intervient sur un site, rédige lui-même, et signe son propre rapport, et ce, le plus souvent, chez un particulier, permet de réaliser l’acte de repérage en toute légitimité ».

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