S. TOURNAFOL (ATHOME) : « CEUX QUI ONT DE L’INFLUENCE DANS LA PROFESSION, CE NE SONT PAS LES DIAGNOSTIQUEURS » Technique

Publié le par Alain

À la tête depuis 2007 du cabinet athome diagnostic immobilier dans les Bouches-du-Rhône, Stéphane Tournafol porte un regard désenchanté et critique sur un métier qu’il le passionne pourtant. Un entretien sans langue de bois.

 

Depuis sa mise en place, le nouveau DPE ne cesse de créer des remous. Quel bilan tirez-vous de ces premiers mois d’application ?

On a bien souffert et on souffre encore. Je crois en ce nouveau DPE, mais la façon dont il a été mis en place est une catastrophe et risque fort d’être un coup d’épée dans l’eau. Même le gouvernement n’incite pas à faire les diagnostics correctement : c’est très bien de demander plus de transparence (par la présence de la fiche technique), à condition que le diagnostiqueur se donne la peine d’investiguer. Mais l’utilisation excessive du « par défaut » a été problématique. Alors on a mis le logiciel à jour et l’on considère aujourd’hui comme « isolant » les doublages de mur avec ou sans lame d’air alors que « par défaut » depuis 15 ans le doublage dans les bâtiments anciens n’était pas considéré comme tel, sauf que cela dégradait trop les notes…

Mais nous on allait voir s’il y avait des doublages : on démontait une prise et, s’il y avait de l’isolant cela améliorait très souvent la note de 2 classes.

Je n’ai pas besoin de faire de la complaisance, je fais juste mon boulot sérieusement. Les résultats ne seraient pas aussi mauvais si tous les diagnostiqueurs se donnaient les moyens d’investiguer. Mais pour beaucoup, c’est plus vite parti, plus vite rentable. Il faut se donner le temps et le temps on ne l’a plus parce que les prix sont tellement bas que tout le monde court.

 

Justement, cette course au prix le plus bas est l’un des sujets récurrents de la profession. Pourquoi selon vous ?

Ce qui pose problème dans notre profession et qui l’empêche de se structurer, c’est qu’en réalité elle n’a pas de pérennité. Si vous regardez les statistiques, sur les 15 dernières années, on a un taux de renouvellement des cabinets de 28% sur la région PACA. Ça veut dire qu’en l’espace de 4 ans, le parc complet est renouvelé. En quelques années, je suis devenu le plus vieux cabinet de la région en raison de ce turnover extraordinaire. Pourquoi ? Parce que c’est une activité qui n’a pas de valeur ajoutée : de nouveaux entrants remplacent des anciens qui arrêtent, en dégradant encore plus la rentabilité.

 

« On pensait que les prix augmenteraient avec le nouveau DPE, mais pas du tout »

 

Par le biais de la certification le gouvernement apporte son crédit à tous les diagnostiqueurs qui l’ont obtenue (même s’ils n’ont aucune expérience et jamais été confrontés au terrain) : du coup, un vendeur ou un bailleur recherche dans 80% des cas le prix le moins cher. Du moment que le diagnostiqueur est certifié et assuré, pas d’inquiétude, c’est lui qui endossera tous les problèmes éventuels. De surcroît, lors d’une vente, le diagnostic se fait dans une maison qu’il ne va plus habiter et donc la qualité lui importe peu : il considère que c’est une formalité.

On pensait, par exemple, que les prix augmenteraient avec le nouveau DPE, mais pas du tout alors qu’il est beaucoup plus long à réaliser. C’est la raison pour laquelle, pour subsister, soit les diagnostiqueurs font leur job correctement et ils s’épuisent au point de ne pas renouveler leur activité, soit ils ne font pas les choses correctement et ce sont les procédures qui les rattrapent.

 

Je suis en train de former un technicien qui est nouvellement certifié. Il se demande comment font ses collègues qui se sont mis à leur compte. Moi je sais : ils font mal ! Ils cassent les prix car ils ne savent pas tout le boulot que représente un travail fiable. C’est une concurrence qui n’est pas malintentionnée.

Mais, tant qu’il n’y aura pas un prérequis de travailler au moins 2 ou 3 ans dans un cabinet avant de se mettre à son compte, ce métier n’évoluera pas. Pour mes recrutements de techniciens, soit ils ont de l’expérience dans d’autres sociétés, soit je les forme de A à Z avec un parcours d’intégration de 6 mois pour leur apprendre les process et le métier qui est devenu très complexe et qui continue à se complexifier (sachant que pendant deux ans au moins ils m’appellent entre 2 et 3 fois par jour pour des questions sur ce qu’ils rencontrent sur le terrain). Alors imaginez lorsqu’on démarre seul… Par ailleurs, il y a une dimension administrative qui est devenue beaucoup plus lourde comme les demandes de documents pour le DPE. Le débutant ne s’en rend pas compte non plus, ainsi que toute la veille juridique d’un métier qui regroupe des diagnostics très divers et dont la réglementation évolue sans cesse.

 

Si ce constat semble partagé par de nouveaux certifiés, pourquoi la formation ne s’adapte-t-elle pas en s’attardant plus longuement sur le terrain et la pratique du métier ?

Je suis pessimiste sur ce point. La profession ne se structure pas pour la simple et bonne raison que ceux qui ont de l’influence dans la profession ne sont pas les diagnostiqueurs, mais ceux qui vivent des diagnostiqueurs et gravitent autour. Les franchiseurs, les gros groupes, les formateurs et les certificateurs n’ont aucun intérêt à ce que la profession exige des prérequis d’expérience qui soient incontournables. Plus il y a de gens à former, de main d’œuvre sur le marché, à certifier et recertifier, et de turn-over, plus ça arrange tout le monde.

 

« Si je m’en sors depuis 15 ans c’est parce que je suis passionné par ce que je fais »

 

Ça fait 3 fois que je me fais recertifier. À quoi ça sert ? C’est de contrôles in situ dont on a surtout besoin pour tirer la profession vers le haut. C’est dommage parce que si la profession se structurait et gagnait un peu plus d’argent, elle aurait plus de pouvoir et aurait les moyens d’investir et de se développer. Par ailleurs elle aurait plus de pertinence et serait mieux acceptée par les propriétaires. Ce serait une démarche vertueuse.

Si je m’en sors depuis 15 ans c’est parce que je suis passionné par ce que je fais et que j’ai d’autres activités complémentaires dans la même branche. Les plus vieux cabinets ne subsistent que par cette diversification.

 

À propos de diversification, l’audit énergétique est annoncé par certains comme une belle opportunité. Envisagez-vous de proposer cette nouvelle prestation ?

À la base, l’audit énergétique m’intéressait. Il y a quelques années, je faisais du conseil en rénovation énergétique et même de la perméabilité à l’air. Même si j’ai arrêté au moment où cela à commencer à être encadré avec le RGE, je comptais m’y remettre car cela me passionne. Je pensais qu’on allait demander de vraies compétences et j’y voyais donc une nouvelle opportunité de diversification.

Mais ce nouvel audit énergétique ne m’enthousiasme pas. Ce n’aurait pas été difficile d’être concurrentiel par rapport aux bureaux d’étude thermique, mais se retrouver en concurrence avec tous les diagnostiqueurs est plus problématique pour dégager une rentabilité. En le généralisant à toute la profession, ce n’est plus un marché de plus-value car les prix vont encore être tirés vers le bas. Finalement, je trouve que c’est une mauvaise nouvelle : comme tout le monde va le faire, je crains que cela ne devienne qu’une formalité administrative de plus qui ne sert à rien au lieu d’un véritable outil pour l’amélioration de la performance énergétique.

En conclusion seule l’exigence d’une véritable expérience permettrait à la profession une vraie qualité des prestations.

 

Propos recueillis par Mathias Lovaglio

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