LOI CARREZ : LE DIAGNOSTIQUEUR N’A PAS À PROCÉDER À UNE ANALYSE JURIDIQUE DU LOT Veille juridique

Publié le par Mathias LOVAGLIO

Deux des quatre lots vendus étaient des parties communes à jouissance exclusive, mais personne n’en a informé le diagnostiqueur immobilier ce qui l’a conduit à réaliser un certificat Carrez erroné. Cependant, contrairement à l’agence immobilière et au notaire, aucune faute n’est retenue contre lui par la cour d’appel de Paris, celle-ci estimant que les quatre lots formaient une « unité d’habitation » aux yeux du diagnostiqueur.

Dans cette affaire, l’appartement vendu 175 000 € en 2016 était composé de 4 lots d’une copropriété. Le mesurage établi par le diagnostiqueur faisait alors état d’une surface privative de 38,33 m². À peine deux mois plus tard, l’acheteuse fait réaliser un nouveau certificat de mesurage Carrez par un géomètre-expert qui conclut à une surface privative de 21 m². La raison d’un tel écart (45,21%) est simple : deux des quatre lots sont en réalité des parties communes à jouissance exclusive qui n’auraient pas dû être prises en compte dans le mesurage Carrez.

L’acheteuse décide donc d’assigner en justice les vendeurs. Par effet de ricochet, les vendeurs ont ensuite assigné en garantie leur notaire et l’agence immobilière, cette dernière se tournant à son tour vers le diagnostiqueur qu’elle avait mandaté.

Par jugement du 13 mai 2019, le tribunal de grande instance de Bobigny a condamné les vendeurs à près de 80 000 € au titre de la diminution du prix proportionnelle à la moindre de mesure comme il est d’usage dans ce type d’affaire. En revanche, les vendeurs se voient déboutés de leurs appels en garantie à l’encontre de l’agence immobilière, du notaire et du diagnostiqueur. Le premier juge a en effet retenu la responsabilité de l’agence immobilière mais a rejeté les demandes formées à son encontre au motif que le préjudice réparable par l’agence ne peut pas être la restitution du prix. Il a par ailleurs rejeté la responsabilité du notaire au motif qu’il n’avait pas à vérifier les indications matérielles qui lui sont données et qu’il a repris les lots tels que décrits dans le règlement de copropriété et, enfin, celle du diagnostiqueur au motif que sa mission ne porte que sur le mesurage des surfaces et non sur la vérification de la constitution juridique des lots.

Les vendeurs décident alors de faire appel de cette décision afin d’obtenir la révision du jugement. Ils font notamment valoir qu’ils n’auraient jamais vendu l’appartement au prix de 95 878 €. Mais la cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 9 juin 2023, confirme que seule la surface des parties privatives était à prendre en compte, à l’exclusion des parties communes, fussent-elles affectées à la jouissance privative. Elle considère que « la connaissance par l’acquéreur avant la vente de la superficie réelle du bien vendu ne le prive donc pas de son droit à la diminution du prix, qui n’est pas subordonné à la preuve d’un préjudice ». En conséquence, le jugement en premier instance est confirmé « en ce qu’il a dit qu’il y avait lieu de procéder à une réduction partielle du prix de vente, proportionnelle à l’écart de la superficie ». En revanche, la cour d’appel retient que les parties communes à jouissance exclusive constituent une plus-value pour l’appartement et limite donc le montant de la condamnation au titre de la diminution du prix à un peu moins de 52 000 €.

En appel, les vendeurs ont aussi tenté de faire reconnaitre la responsabilité du diagnostiqueur qui « ne pouvait s’affranchir de l’obligation de vérifier la consistance du bien immobilier vendu, en consultant notamment le règlement de copropriété dont il s’est abstenu d’en solliciter la communication ». Bien qu’il soit tenu à une obligation de résultat, le diagnostiqueur se défend. Il n’avait pas, « en tant que mesureur, à procéder à une « analyse juridique du lot » (consultation plan cadastral ou règlement de copropriété qui ne lui ont au demeurant pas été fournis) pour connaître les limites du lot à mesurer : seules les surfaces apparentes comptent dans le cadre de mission technique de métrage ». La cour d’appel retient son argument non sans préciser que « l’appartement tel que présenté pour le mesurage comprenait plusieurs pièces dont la cuisine et la salle de bains, parties communes à jouissance exclusive intégrées dans le bien vendu et formant ainsi une unité d’habitation de sorte qu’aucun indice matériel ne pouvait permettre au mesureur » de constater le statut juridique des différents lots. Il échappe donc à toute condamnation.

Mise en cause par les vendeurs pour ne pas avoir fourni les éléments nécessaires à la bonne réalisation du mesurage, notamment le règlement de copropriété, l’agence immobilière voit sa faute retenue. La cour d’appel lui reproche de ne pas avoir effectué les vérifications nécessaires en raison d’une « incohérence manifeste entre la désignation juridique du bien, comprenant des lots privatifs et des parties communes à jouissance exclusive selon le règlement de copropriété, et la présentation physique du bien dont elle avait pu elle-même se rendre compte en le visitant ». Elle est donc condamnée à réparer le préjudice subi par les vendeurs, à savoir la perte de chance d’avoir pu vendre à un prix supérieur à celui obtenu après déduction de la moins-value (52 000 €), soit 25 000 €.

Enfin, concernant le notaire, la cour d’appel estimant qu’il n’avait pas à « contrôler les métrages effectués, ce qui constitue une intervention technique hors de leurs compétences, mais, au regard des conséquences judiciaires sur le mesurage correct des superficies en matière de copropriété, de s’assurer, en vérifiant les éléments juridiques (règlement de copropriété, état descriptif de division, tableau récapitulatif des lots) qui leur ont été transmis, de la concordance entre ces éléments et les diagnostics ». Sa responsabilité est donc établie « du fait de la faute commise dans le cadre de la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l’efficacité de l’acte ; cette faute est en lien avec le préjudice subi par [les vendeurs] qui n’ont pas été alertés par le notaire de la difficulté posée quant à la fixation du prix de vente au regard de la superficie loi Carrez qui était erronée ». Les deux fautes de l’agence immobilière et du notaire ayant concouru au préjudice subi, ils sont condamnés in solidum avec leurs assurances à 20 000 € de dommages et intérêts.

Cour d’appel de Paris, RG n° 19/11523, 9 juin 2023

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