GUILLAUME EXBRAYAT : « ATTENTION À L’ELDORADO DE L’AMIANTE AVANT-TRAVAUX ! »

Publié le par Alain

La croissance du marché, l’acquisition de DEFIM par EX’IM, les difficultés d’AC Environnement ou encore l’avenir du marché B to C : le président du réseau Diagamter livre son analyse de l’actualité du diagnostic immobilier et dit s’attendre à de grands bouleversements sur le marché ces prochaines années.

 

Guillaume Exbrayat, tous les voyants sont au vert sur le marché des diagnostics immobiliers. Pourtant vous alertez vos collaborateurs et franchisés sur des risques de retournement de la conjoncture. Quelle en est votre analyse ? 

 

Nous évoluons depuis 2015 dans un cycle haussier de nos activités qui nous offre une belle croissance à plus de deux chiffres chaque année. Or cette conjoncture pourrait nous faire oublier qu’il est nécessaire de réfléchir sur la stratégie de long terme de nos entreprises, au besoin en donnant quelques coups de gouvernail. J’ai le sentiment que 2020 et 2021 seront moins faciles qu’on ne le dit. La croissance mondiale se ralentit, après le domaine industriel c’est le monde des services qui entre en récession. Nous vivons une situation folle avec des taux d’intérêt négatifs qui constituent une vraie anomalie économique, et nous observons des tensions très fortes sur les marchés interbancaires, notamment aux Etats-Unis. Pour le moment, ces taux dopent le marché immobilier, mais on sait qu’il faudra peu de choses (crise internationale, crise sanitaire type corona virus, insolvabilité d’emprunteurs…) pour qu’ils finissent par augmenter et cela pourrait être alors le signal d’un ralentissement du marché de l’immobilier qui chuterait de 20/25% en volume en quelques mois comme en 2008 et 2012. Bien entendu, cela affecterait les prix de l’immobilier, et après correction des prix, les volumes reviendraient sans doute autour de 850 à 900 000 ventes annuelles. Je rappelle qu’au cours des années 2000 à 2010, les ventes plafonnaient à 800 000 ventes par an… Nous vivons donc actuellement un pic d’activité dans le diagnostic vente.

 

Alors comment les diagnostiqueurs doivent-ils se préparer à un retournement du marché immobilier ? 

 

Je pense d’abord que ceux qui ne tirent leur croissance que du seul marché de la vente/location doivent rapidement réfléchir à des stratégies de diversification. Il faut d’autres sources de revenus. C’est la raison pour laquelle j’estime que le modèle du diagnostiqueur immobilier solo est bien trop fragile, qu’il soit franchisé ou non. Il faut pouvoir développer différentes activités : la vente/location, les diagnostics copropriété et bien sûr l’amiante avant-travaux et démolition. Et cela, un professionnel isolé ne peut pas le faire. D’autant que nous perdons des points de marge : les prix s’érodent et les charges augmentent régulièrement, notamment les assurances, les formations et les certifications. Il faut donc aller chercher des gains de productivité et des activités à plus forte marge pour préserver nos comptes d’exploitation et la qualité de nos prestations de service. Je suis plus mesuré que l’institut Xerfi qui prévoit 8% de croissance du marché des diagnostics immobiliers en 2020 et 5% en moyenne dans les deux années suivantes car je pense que ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose. Il faut segmenter les marchés du diagnostic immobilier :  vente/location d’une part et avant-travaux, démolition d’autre part pour obtenir une analyse plus fine. Au sein du réseau Diagamter, nous avons par exemple réalisé 105 000 dossiers pour nos clients en 2019 dont 75 000 diagnostics dans la vente, ce qui représente 9% de plus en volume qu’en 2018, pourtant notre chiffre d’affaires dans ce secteur, lui, n’a pas augmenté. En revanche, nous enregistrons de belles progressions sur les marchés émergents que sont les diagnostics de la copropriété et les DTG avec une croissance de 37% de notre chiffre d’affaires et bien sûr aussi le marché de l’amiante avant-travaux et avant-démolition avec +26%.

 

Donc vous suggérez de privilégier ces marchés en prévision d’un possible ralentissement des transactions immobilières ? 

 

Oui mais sans délaisser pour autant le marché de la vente/location. Attention à l’Eldorado qui se dessine depuis quatre ou cinq ans sur l’amiante avant-travaux ! Il y a certes de très belles réussites sur ce marché, AC Environnement en est un bel exemple, EX’IM aussi qui réalise un CA important sur cette activité. Nous nous développons aussi sur ce marché avec notre marque Aléa Contrôle, mais sans toutefois en faire un but ultime, alors que j’observe que beaucoup d’entreprises ont délaissé les diagnostics vente et location pour aller chercher ces diagnostics à plus forte marge. Ce choix est, je crois, une erreur stratégique, car le marché de l’amiante va sans doute connaître un ralentissement.

 

Une crise sur le marché du diagnostics amiante, lui qui génère pourtant depuis des années une croissance à deux chiffres pour de nombreux acteurs ? 

 

Un phénomène d’optimisation et d’érosion des marges a déjà commencé dans les laboratoires. Les prix de leurs analyses ont été divisés par deux au cours des dernières années et beaucoup d’entre eux sont au bord de l’asphyxie. Nous serons sans doute rapidement bientôt en situation de duopole, avec deux grands laboratoires concentrant 70 à 80% du marché, les prix des analyses remonteront alors probablement d’ailleurs… Mais au-delà des laboratoires, ce sont les marges de tous les acteurs de ce marché qui vont être fortement impactées en raison du nombre important d’acteurs et de la baisse des prix de vente, qu’il s’agisse des prélèvements pour analyse ou des prestations, ou encore la hausse des coûts de production avec l’obligation de n’avoir que du personnel certifié amiante mention pour ces prestations. Et ceux qui auront délaissé la vente et location pour conquérir ce marché de l’amiante ne maintiendront pas leurs niveaux de marge et de rentabilité qu’ils connaissent depuis cinq ans. D’autant que ce sont des marchés qui requièrent une forte intensité capitalistique. Je déconseille donc vivement de délaisser la vente et location, et globalement le diagnostic de l’immobilier résidentiel. Selon moi, c’est même le marché du futur. La lutte contre le réchauffement climatique et certaines initiatives parlementaires comme le rapport Vuilletet devraient bientôt changer la donne et nous amener à réaliser des diagnostics non plus seulement lors des transactions mais pour l’ensemble du parc. Je pense en effet que d’ici trois à cinq ans, nous serons missionnés pour réaliser un DPE et un certificat d’habitabilité sur les 36 millions de logements et donc notre marché qui appelle aujourd’hui chaque année environ 1,5 million d’actes pourrait ainsi passer à 4 millions d’actes annuel ! Ce marché de la transaction est certes un marché difficile à conquérir mais c’est un marché tout en promesse. 

 

L’acquisition par EX’IM du réseau DEFIM est l’une des plus grosses opérations de croissance externe réalisées ces dernières années sur notre marché. Quelle lecture en faites-vous ? 

 

Il s’agit d’une belle opération de croissance externe et j’ai d’ailleurs félicité Yannick Ainouche le jour de son annonce. Même si pour ce type d’opérations, le plus difficile est de réussir les synergies attendues, notamment avec des structures franchisées, je fais confiance à Yannick pour gérer cela au mieux. Cela étant, cette opération a dû interpeller le marché. Chaque gros acteur doit s’interroger sur le bon objectif de la taille critique et comment y parvenir. Nous avons nous aussi lancé des réflexions chez Diagamter pour savoir comment se positionner sur ces questions, sans doute comme d’autres acteurs nationaux.

 

Parmi ces acteurs nationaux, il y bien sûr AC Environnement qui a dû se séparer de son directeur général en raison notamment de résultats que l’on dit décevants. 

 

Il est remarquable que l’entreprise qui réalise le plus gros chiffre d’affaires sur le marché de l’amiante en France soit en proie à des difficultés et à une gouvernance instable. Mais AC Environnement est détenu majoritairement par des fonds d’investissement, d’où de fortes exigences de rentabilité. Diagamter, comme Allodiagnostic, Agenda, EX’IM, BC2E, tous ces acteurs historiques sont dirigés et contrôlés jusqu’ici par des actionnaires intéressés par le métier et le souci de bien faire, mais serons-nous demain soumis à la pression de fonds d’investissement ? Il faut exercer ce métier que l’on aime, avec des équipes sécurisées, motivées, de la bienveillance, sans jamais céder à la tentation de dégager des bénéfices au détriment de nos responsabilités envers nos clients. 

 

Tout ceci constitue-t-il les prémices d’une phase de grands mouvements sur le marché des diagnostics immobiliers ? 

 

Notre environnement est frappé d’une grande instabilité, comme je le disais. Or l’instabilité est propice à de grands bouleversements en effet. Les année 2020 et suivantes devraient en être le théâtre. D’autant que plusieurs dirigeants historiques de notre métier vont progressivement s’effacer au cours de la prochaine décennie. Il faut être en être conscient, tout cela sera source d’opportunités pour certains et peut-être de difficultés pour d’autres.

 

Je crois donc plus que jamais, compte tenu de cette instabilité et des forts enjeux liés à nos marchés, qu’il faut se mobiliser, tous se rassembler dans une fédération professionnelle puissante. Et la Chambre des diagnostiqueurs FNAIM, présidée par Thierry Marchand qui fait un travail remarquable, et dont je suis administrateur et trésorier, est la seule fédération en capacité de peser et d’agir aux niveaux parlementaire et gouvernemental sur l’ensemble de ces sujets. J’appelle donc tous les cabinets, quelle que soit leur taille, à se questionner sur leur adhésion à la CDI-FNAIM, et venir y participer à la construction de notre futur.

 

Propos recueillis par Alain Périé.

 

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