F. MORATAL (DIAFYM RH) : « BEAUCOUP D’APPRENANTS N’ONT AUCUNE IDÉE DE LA RÉALITÉ DE LEUR FUTUR MÉTIER » Profession

Publié le par Mathias LOVAGLIO

Fanny Moratal, directrice du cabinet DiaFym RH, livre son analyse du marché de l’emploi du diagnostic immobilier. Elle observe notamment que l’inadéquation entre les compétences des nouveaux certifiés et la technicité croissante du métier est de plus en plus préjudiciable. Selon elle, la filière gagnerait à mieux structurer ses recrutements et ses formations pour répondre aux enjeux auxquels elle doit faire face.

Fanny Moratal, quelles sont les grandes tendances actuelles du marché de l’emploi ?

On constate des évolutions par rapport à ce qu’il se passait il y a un ou deux ans. Aujourd’hui, les indépendants solos ont tendance à ne plus franchir le cap du premier recrutement pour se développer car ils sont impactés par la baisse d’activité au niveau de la transaction. Ce sont donc essentiellement les TPE/PME qui ont déjà des salariés et les grosses structures qui recrutent et poursuivent leur développement. Ces entreprises ont plus souvent fait le choix de se diversifier, sur l’audit énergétique mais surtout sur les missions en copropriétés et elles parviennent actuellement à tirer leur épingle du jeu.

« Les entreprises qui ont fait le choix de la diversification tirent leur épingle du jeu »

Le profil recherché a également changé. Si le profil idéal reste une personne certifiée avec les mentions et une première expérience, les juniors sont plus facilement acceptés à condition qu’ils possèdent un diplôme Bac+3 en économie de la construction, en génie civil… leur permettant de remplir les prérequis pour tout ce qui concerne le 3PT, le DTG, etc. Cette barrière du diplôme constitue cependant une vraie problématique pour les recruteurs car ces profils, plutôt rares, se tournent bien souvent vers l’indépendance et, sinon, ont des prétentions salariales bien plus élevées.

Je conseille souvent aux recruteurs d’aller chercher des personnes sans certification pour les faire monter en compétence. Ces personnes seront beaucoup plus engagées, reconnaissantes et loyales, d’autant plus que la démarche peut être sécurisée avec une clause de dédit-formation. Si les entreprises recherchent des diplômés Bac+3, elles doivent comprendre qu’il va falloir aller les chercher et les séduire pour les attirer dans le monde du diagnostic immobilier. C’est une démarche complexe car la recherche n’est pas la même.

Cela devient donc difficile pour les entreprises de trouver des techniciens certifiés leur permettant de poursuivre leur développement ?

Trouver de la bonne main d’œuvre en ce moment est assez compliqué. Les profils viennent d’univers de plus en plus différents et trop peu d’organismes de formation font un tri à l’entrée. La plupart des apprenants n’ont pas conscience de ce que sera leur métier de demain, des durcissements de la formation/certification et du bagage « bâtiment » qu’il faut acquérir par un travail personnel durant les premiers mois d’activité. Nous avons de plus en plus de profils qui ne tiennent pas la route en termes de savoir-faire, mais aussi de savoir-être. Beaucoup n’ont pas la curiosité, ni la motivation, de se renseigner et de se préparer avant même d’entrer en formation. Certains croient qu’ils vont faire du DPE et ne connaissent pas les autres diagnostics. Ils n’ont aucune idée de ce qu’est réellement le métier. Tous les profils ne sont pas mauvais, il y en a même de très bons, mais les meilleurs se tournent généralement vers la création d’entreprise qui fonctionne encore dans ce métier, malgré la mauvaise conjoncture du marché de l’immobilier.

Comment amener des profils orientés « bâtiment » à s’intéresser au diagnostic immobilier ?

C’est malheureusement un sujet dont on ne parle pas assez et je pense que c’est un problème qui risque de s’accentuer à l’avenir. L’enjeu est pourtant primordial pour la crédibilité des diagnostiqueurs immobiliers : quand on va se rendre compte qu’il n’y a pas assez de bons profils, il sera trop tard. Il n’est plus possible de rester un métier de reconversion alors que la technicité des missions augmente.

« Le diagnostic immobilier ne peut plus rester un métier de reconversion »

Les pouvoirs publics et les fédérations ont des préoccupations prioritaires comme le DPE, mais ils devraient plus s’intéresser aux formations. Il faudrait vraiment développer des cursus universitaires, comme l’IUT de Saint-Nazaire, quitte à ce que les entreprises financent les certifications à l’issue de la formation. L’investissement me parait raisonnable au regard du bénéfice : les personnes qui sortent de ces formations possèdent tout le bagage « bâtiment » nécessaire pour le diagnostic immobilier. Cela demanderait aussi de faire de l’information auprès des lycées, des BTS bâtiment… pour intéresser les jeunes.

L’alternance n’est-elle pas capable d’assurer cette montée en compétences ?

Nous n’avons pas encore beaucoup de recul sur l’alternance. La formation reste une formation professionnelle adulte entrecoupée de périodes de stage. Certes, les alternants découvrent le terrain, mais s’ils ne font que découvrir le terrain, ils coutent trop chers aux entreprises. Certaines ont donc tendance à les utiliser comme des techniciens certifiés, alors qu’elles devraient leur consacrer plus de temps à poursuivre leur apprentissage du métier.

Les prochains renforcements et notamment le prérequis de deux ans de certification DPE pour prétendre à l’extension de certification Audit énergétique vont-ils être problématiques pour les entreprises qui souhaitent se développer ?

Au-delà de l’augmentation des coûts, il va falloir attendre deux ans pour que de nouveaux auditeurs soient formés alors que la demande va monter en puissance en 2025. Ce n’est pas une mauvaise chose car je ne suis pas sûre que tous ceux qui sortent de la formation initiale soient aptes à faire des audits énergétiques. Mais, pour le moment et comme souvent dans le diagnostic, les entreprises ne se sont pas encore projetées.

La féminisation de la profession se poursuit-elle ?

Il y a effectivement de plus en plus de femmes, même si cela n’est pas encore suffisant. Désormais, on retrouve des femmes dans chaque session de formation. Certaines s’orientent même vers l’amiante. Mais il peut malheureusement exister encore certains freins à leur employabilité. Une entreprise qui ne fait que de l’amiante va être un peu plus réticente, non pas contre elles, mais plutôt pour leur bien-être car il est encore difficile pour une femme d’évoluer sur certains chantiers. Cela reste un milieu très masculin, les vestiaires ne sont par exemple pas toujours adaptés, etc. Mais pour beaucoup d’entreprises, cela ne pose pas de problème, et certaines recherchent même en priorité une femme.

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