Y. VOGEL (ODI FORMATION) : « LES DIAGNOSTIQUEURS DÉBUTANTS NE SONT PAS LES PLUS EXPOSÉS AUX SINISTRES » Profession

Publié le par Mathias LOVAGLIO

Yann Vogel, responsable pédagogique chez ODI Formation, défie les idées reçues sur la sinistralité des diagnostiqueurs débutants et remet en cause la pertinence d’une période de salariat avant de s’installer à son compte. Il alerte également sur les lacunes rédactionnelles et les mauvaises habitudes prises par les plus anciens. Selon ses constatations, 70% des rapports seraient mal rédigés.

Yann Vogel, quelle est votre analyse de la sinistralité au sein de la profession ?

Elle reste problématique, notamment en termes assurantiels. Mais, contrairement aux idées reçues et les statistiques le démontrent, ce ne sont pas les diagnostiqueurs débutants qui sont les plus exposés. J’ai réalisé une étude pour un des principaux assureurs en 2023 sur la sinistralité des cabinets. Celle-ci augmente de façon linéaire avec l’ancienneté des cabinets : 47,62 % des sinistres étaient imputables aux entreprises de plus de 10 ans contre seulement 7,94 % pour les entreprises de moins de deux ans.

Quand j’ai partagé ces chiffres, certains ont répondu que le diagnostiqueur débutant avait peu de missions et qu’il était normal que sa sinistralité soit plus faible que celle de quelqu’un de plus ancien. Dans ce cas, l’expérience et le fait de mieux pratiquer devraient faire qu’on atteint un plateau puis une descente. Or, selon l’étude, ce n’est absolument pas le cas.

Est-ce pour cette raison que vous conseillez à vos stagiaires qui veulent monter leur entreprise, de s’installer directement plutôt que de passer par une période de salariat comme cela est pourtant souvent préconisé ?

Passer par le salariat avant de monter son entreprise est valable dans beaucoup de métiers car il y a un savoir-faire et des gestes techniques à acquérir. Le diagnostic immobilier est une activité de contrôle pure et dure et donc un métier de prestations intellectuelles. La formation est faite pour apprendre, comprendre et appliquer la réglementation sans oublier de rédiger avec un devoir de conseil.

Je déconseille à nos stagiaires de débuter par une période de salariat, y compris ceux qui ne viennent pas du monde du bâtiment. Certes, la période de démarrage est une période inconfortable. Pour ses premiers diagnostics, il ne faut pas hésiter à prendre son temps et garder l’humilité que tout le monde peut se tromper. Au démarrage de l’activité, personne ne viendra vous reprocher que cela n’aille pas assez vite. Mais il vaut mieux démarrer avec les bons acquis de la formation que forcément aller chercher l’expérience des personnes qui auraient pu prendre de mauvaises habitudes et qui n’en n’ont malheureusement pas toujours conscience. Pour illustrer cela, je cite souvent l’exemple du jeune conducteur qui vient d’obtenir son permis de conduire et qui va faire preuve de vigilance et de prudence car il a conscience de son inexpérience. Au contraire, le conducteur expérimenté qui, comme tous les conducteurs expérimentés, se considère bon conducteur, va faire de la gestion de risques : il sait par exemple qu’il n’y a jamais de contrôles à tel endroit et va donc enfreindre les règles. Si on met un jeune conducteur au contact d’un conducteur expérimenté, il va désapprendre tout ce l’on lui a appris durant la formation et adopter très rapidement de mauvaises habitudes. C’est exactement ce que l’on constate avec les diagnostiqueurs débutants qui passent par le salariat.

Y compris pour ceux qui n’ont pas d’expérience dans le bâtiment ?

80% des personnes qui se présentent en formation ne sont pas issues du bâtiment. Ce qui importe, c’est qu’elles soient bien « câblées », qu’elles aient la rigueur et la conscience professionnelle pour faire de bons diagnostiqueurs. Au contraire, il n’est pas rare que des personnes issues du bâtiment abordent cette formation en pensant tout savoir et avec plein de certitudes. Ces personnes peuvent alors être moins attentives et baisser plus rapidement la garde. Or, sur le terrain, quelqu’un qui n’a pas de certitude est bien moins dangereux que quelqu’un qui en a. Au final, ce qui va faire la différence, c’est l’individu.

Je mets cependant un bémol sur l’audit énergétique et l’avant travaux. Je déconseille vivement à tous ceux qui se lancent d’aller sur ces missions parce qu’il faut de la compétence et de l’expérience dans le bâtiment. Pour un diagnostiqueur qui débute, il est raisonnable de commencer par des diagnostics sans mention de manière à prendre en main le métier avant d’envisager une diversification. Avant de céder aux « sirènes » du chiffre d’affaires, il faut être attentif aux compétences.

Pour revenir au niveau de sinistralité chez les diagnostiqueurs, quelles en sont selon vous les principales explications ?

La profession est restée extrêmement puriste en s’intéressant avant tout à la dimension technique. Or, on s’aperçoit que, dans leur grande majorité, les diagnostiqueurs n’ont pas réellement de problèmes techniques sur le terrain.

Depuis plusieurs années, nous accompagnons les créateurs pendant leurs trois premières années d’activité et organisons des formations de maintenance technique et juridique avec Me Damien Jost et un expert judiciaire pour les cabinets plus anciens. À cette occasion, nous demandons aux diagnostiqueurs de nous transmettre leurs rapports pour les analyser sur les plans technique, réglementaire et rédactionnel/juridique. Nous nous apercevons que plus de 70% des rapports sont non conformes et attaquables, en grande partie en raison de leur qualité rédactionnelle.

Quelles sont ces lacunes rédactionnelles que vous avez identifiées ?

Le principal problème réside dans le devoir de conseil qui est une notion complètement floue dans la profession et qui, pourtant, fait partie des impératifs de ce métier. Tout le monde en a sa propre conception alors qu’en réalité c’est un véritable travail d’horlogerie. Le devoir de conseil est un devoir d’alerte qui n’apparait pas dans la réglementation, ni dans les normes. Les trois points principaux d’un rapport, c’est : je constate, j’alerte et je préconise. Le devoir de conseil consiste à vulgariser un message technique à destination d’un lecteur non-sachant, tout comme le juge qui se fait assister par un expert pour la partie technique.

Il y a un véritable manque d’information sur la sinistralité lors de la formation initiale. Peu s’interrogent sur la manière dont le juge va aborder les diagnostics et pourtant nous savons aujourd’hui ce qu’il regarde et ce qu’il attend. Il faut impérativement adapter la rédaction des rapports à chaque bien immobilier et cela concerne aussi les réserves et les observations qui constituent la partie sur laquelle l’avocat va le plus s’appuyer pour vous défendre en cas de mise en cause. Chez ODI Formation, nous analysons en permanence avec notre avocat les décisions de justice pour améliorer la rédaction des rapports. Toutes ces observations et réserves personnalisées, beaucoup de diagnostiqueurs de l’ancienne école n’y sont pas sensibilisés. La montée en compétences sur la partie rédactionnelle est indispensable, sans quoi ils deviennent alors bien plus exposés aux sinistres qu’un débutant bien formé.

Une autre raison vient de l’automatisation à outrance des logiciels qui ont plus ou moins pris le pouvoir sur la partie rédactionnelle des diagnostiqueurs. C’est devenu une vraie problématique. En dehors des nouvelles obligations de formation sur le DPE, nous avons fait le choix de faire tout rédiger à nos stagiaires sur des trames vierges sans utilisation de logiciel. Ce n’est pas que nous sommes réfractaires au numérique mais, avec cette automatisation, nous nous sommes rendu compte que les diagnostiqueurs ne lisaient plus leurs rapports, ne les comprenaient plus et ne les investissaient pas. L’objectif du gain de temps et de productivité est certes essentiel pour les diagnostiqueurs, mais souvent dangereux car la qualité des rapports est trop souvent insuffisante. En cas de sinistre, les diagnostiqueurs seront pourtant responsables de leurs écrits, y compris ce qui a été renseigné automatiquement par l’éditeur de logiciel. Il faut donc aussi vérifier la cohérence des rapports et ne pas faire confiance à 100% à la trame du logiciel. Certes, même si les éditeurs de logiciel laissent la main aux diagnostiqueurs pour modifier le rapport, ils ne savent pas toujours comment procéder. La prise en main du logiciel est difficile au départ. À eux de faire remonter leurs problèmes aux éditeurs afin qu’ils puissent redevenir maîtres de leurs rapports.

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2 commentaires

  • ETIC a écrit

    Pas faux.
    Sur ce sujet, évitez liciel qui ne tient jamais compte des remontées sur les bugs et autres problèmes rencontrés sur le logiciel, quand ils y répondent !
    Et le drame et de constater que certains OC se basent sur les trames de liciel pour vérifier nos compétences, ce qui provoque de long débats pour rétablir l’ordre des choses. Comme il est bien dit, ce métier passe par les rapports, cela prend du temps, le temps c’est de l’argent, et là, on sait pourquoi il y a tant de litiges …

  • ETIC a écrit

    On sent aussi la crainte des OF de perdre une grande partie du CA avec ces nouvelles règles qui vont forcément dissuader des nouveaux opportunistes à entrer, donc avant tout, de participer à leur financement…
    La maîtrise technique du monde de la construction n’est pas accessoire pour maîtriser ce métier, là est certainement la cause du dénigrement justifié dont on fait l’objet.
    J’en connais d’autres où la maitrise n’est pas remise en cause mais qui engendre une assurance dans l’attitude rédactionnelle créant le risque juridique. Le juste milieu, c’est ça qu’il faut rechercher, de la compétence et de la rigueur.

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