P. OULES (DÉLÉGUÉ PARIS CRA) : « IL FAUT ANTICIPER LA TRANSMISSION DE SON ENTREPRISE AU MOINS 18 MOIS À L’AVANCE » Profession

Publié le par Julie FORT

La cession d’une entreprise exige de poser et SE poser les bonnes questions pour éviter certains pièges fréquents. Éléments de réponse sur chacune des étapes d’un processus prenant 18 mois au minimum, avec Pierre Oules, Délégué Paris de l’association Cédants et Repreneurs d’Affaires (CRA).

Pourquoi est-il recommandé d’avoir construit une structure autour d’une équipe de collaborateurs pour céder son entreprise ?

Pierre Oules : Lorsque le chef d’entreprise sans collaborateurs quitte sa société, il emporte avec lui toutes ses qualités personnelles, qui ont notamment permis d’établir un relationnel avec sa clientèle et la constitution d’un savoir-faire sur son métier.
Or, dans le cas d’une reprise, le repreneur doit justement pouvoir s’appuyer sur les collaborateurs restants pour comprendre le fonctionnement de l’entreprise et ainsi combler l’absence du cédant. S’il possède la fibre commerciale, il pourra ainsi profiter des connaissances partagées par le personnel existant pour se projeter progressivement dans l’activité et amener un redéveloppement de l’entreprise.
Toute reprise d’entreprise est d’abord à considérer sous l’angle psychologique, car elle reste une histoire d’hommes, de savoir-faire et de compétences. C’est pourquoi transmettre une aventure humaine pilotée par un seul homme devient complexe.

Dans le cas d’une entreprise structurée à céder (techniciens, assistante, voire commerciale), quels sont les points-clés à vérifier d’emblée ?

Pierre Oules : Tout d’abord, regarder la pyramide des âges de l’entreprise pour apprécier les risques de départs à la retraite et la perte potentielle de savoir-faire.
Ensuite, vérifier si le turn-over des collaborateurs est faible, c’est-à-dire dans une entreprise d’une dizaine de salariés, s’il est de 1 sur 5 de temps en temps la situation peut apparaitre normale. Cet indicateur montre si le patron a su fidéliser son équipe et si elle se sent bien dans l’entreprise.
Puis, surveiller le Compte Client, pour les factures non payées : le niveau de l’encours est-il dans la norme du métier ? Les retards de paiement arrivent dans le monde professionnel, mais trop de factures impayées, au-delà de la norme constatée dans le secteur, peuvent mettre en danger la survie de l’entreprise.
Idem pour le compte Fournisseur, pour les factures non réglées : les accumuler a notamment des répercussions sur la trésorerie de l’entreprise cédée et le besoin en fonds de roulement du repreneur.
Tous ces éléments sont à prendre en considération par le cédant dès le moment où il songe mettre en vente son entreprise.
Enfin, le repreneur doit connaître ou apprendre à maîtriser les règles de l’écosystème du repreneuriat en matière de financement de son achat, en particulier l’apport personnel – 30% du montant de la transaction – qui offre de devenir propriétaire à 100% de l’entreprise cédée grâce à une holding, à travers un process Leverage buy-out (LBO), c’est-à-dire rachat avec effet de levier. Ce montage financier, qui a recours à l’endettement à hauteur donc de 70%, facilite une transmission d’entreprise.

Quels sont les pièges à éviter dans le processus de cession ?

Pierre Oules : Le cédant doit d’abord éviter de cacher certains éléments, comme la situation de l’entreprise ou son état financier. C’est se leurrer que de penser que le repreneur ne finira pas par les découvrir. Je pense notamment aux litiges en cours ou à venir, ou encore aux risques de Prud’hommes.
Certes, le repreneur peut faire jouer la garantie actif et passif, généralement annexée au protocole d’accord lors d’une vente, sur des éléments révélés après la cession. Mais moins le cédant aura caché des choses, plus cette garantie sera difficile à mettre en œuvre, et plus le repreneur se sentira satisfait de son rachat. Le cédant doit simplement présenter la vérité de manière positive.
Autre problématique récurrente : le prix de vente rêvé par le cédant. Comme dans l’immobilier, des experts fixent une valorisation raisonnable de l’entreprise à céder. Toutefois, mieux vaut vendre dans les 6 mois à un bon prix que de rester avec son bien invendu après 18 mois.
C’est notamment pourquoi il faut anticiper la transmission de son entreprise au moins 18 mois à l’avance, et 2 ans avant sa retraite afin pouvoir bénéficier de mesures fiscales réservées au cédant.
La cession d’entreprise est souvent empreinte de bon sens, et nécessite de savoir s’écouter mutuellement.

Comment estimer la valeur de l’entreprise cédée ?

Pierre Oules : Déjà en se renseignant sur son marché, notamment auprès d’un syndicat professionnel, pour connaître le mode de calcul du prix de vente de l’entreprise : multiple de l’Excédent Brut d’Exploitation ou du Résultat d’exploitation, pourcentage du chiffre d’affaires.
Le cédant doit toujours vérifier que la valeur estimée de l’entreprise est en adéquation avec la capacité d’emprunt du repreneur, en particulier s’il est une personne physique – et non une personne morale. Par exemple, s’il manque 50 ou 100 000 €, il peut réaliser un crédit-vendeur et jouer le rôle du banquier.
Le prix défini doit être crédible pour le repreneur, mais aussi pour les banques, ce qui peut nécessiter d’écrire un business plan pour le repreneur, ce qui montre qu’il a réfléchi et a pris le temps de mettre ses idées sur le papier.
Enfin, le cédant doit travailler avec une équipe, c’est-à-dire un expert-comptable, pour établir les diagnostics de l’entreprise – commercial, juridique, humain, outil de travail -, ainsi que pour analyser les aspects financiers et évaluer les actifs, et un avocat spécialisé dans le droit des affaires, pour l’aider dans la compréhension des documents juridiques et les rédiger. Attention, si tous deux sont indispensables dans une transmission d’entreprise, il faut savoir leur dire « non ».

Comment définir le processus de cession ?

Pierre Oules : Déjà, il faut définir si l’on vend le fonds de commerce ou céder les parts de la société, ce qui n’a pas les mêmes conséquences, au niveau fiscal ou en termes de garanties.
L’immobilier est aussi à prendre en considération, qu’il soit détenu par l’entreprise ou par une Société Immobilière Civile. Les mensualités du bail doivent correspondre à la réalité du marché, alors qu’elles peuvent être adaptées au remboursement du prêt pour acheter les locaux commerciaux et donc trop élevées. De plus, la qualité de l’emplacement doit être en adéquation avec le projet de redéveloppement. D’une façon générale, l’immobilier ne facilite pas la cession d’une entreprise…
Mais ce n’est pas la première chose à analyser : la valeur d’une entreprise, ce sont en premier lieu ses résultats, son équipe, ses clients.
L’accompagnement du cédant auprès des clients, voire des prescripteurs dans le métier du diagnostic immobilier, est fondamental. Le repreneur ne doit pas oublier qu’avant de remettre en cause la relation avec un client, il doit le conquérir !
Dans un premier temps, il lui faut rester dans l’écoute, à un stade d’apprentissage. Ce n’est qu’après six mois, un an d’activité, et une fois que le cédant aura disparu du paysage, qu’il pourra changer la manière de traiter les clients. Même s’il a très envie d’en recadrer certains !
Tout repreneur professionnel et sérieux a envie de pérenniser l’emploi de l’équipe existante et dès lors, la transparence, réciproque avec le cédant, s’impose.
Si le repreneur ne pose pas de questions, sur les clients ou tout autre sujet… alors le cédant doit se poser des questions !

À quoi faut-il veiller plus particulièrement si le repreneur est de la famille ou collaborateur de l’entreprise ?

Pierre Oules : Je ne peux que recommander de s’adresser à une association à but non lucratif comme le CRA , composé uniquement de bénévoles pour accompagner cédants et repreneurs dans une relation totalement définanciarisée, après le seul règlement d’une adhésion.
Notre rôle de mentor nous amène à dire un certain nombre de vérités aussi bien au repreneur qu’au cédant. Notre position aide à sortir de l’affect, des liens familiaux ou personnels, pour revenir à une situation objective.
Nous ne conseillons pas les adhérents au CRA, nous les amenons à se poser les bonnes questions. Et ce, dès une journée de sensibilisation sur la transmission d’entreprise, aussi bien sur les aspects fiscaux, juridiques, organisationnels et patrimoniaux, ou en donnant accès à des événements ou des experts.
L’idée est de leur donner les éléments pour être dans la meilleure position pour vendre ou acheter une entreprise. Le CRA a pour vocation de pérenniser les emplois – 150 000 sont perdus par an, faute d’une transmission réussie ! – et la technicité des entreprises françaises.

Quelles sont les clés pour réussir la négociation et conclure la vente ?

Pierre Oules : Ne pas s’arc-bouter sur un prix de vente qui n’est pas représentatif du marché. Écouter ses conseils, expert-comptable et avocat, sans être pilotés par eux. S’entourer d’un mentor pour poser et se poser les bonnes questions.
Enfin, si votre conjoint(e) ou vos enfants sont opposés à la transaction, n’y allez pas ! Surtout si vous n’avez pas de projet de vie après la cession de votre entreprise. Le cédant doit donner une réponse, comme par exemple faire l’école du Louvre, dans un but d’efficacité pour la vente. S’il ne sait pas, il n’est pas prêt à vendre, et risque de tergiverser longtemps. Et le cédant doit s’en inquiéter.
N’oublions pas que repreneur et cédant doivent tous deux avoir le sentiment de réaliser une bonne affaire, une opération gagnant-gagnant.

Propos recueillis par François Simoneschi

Contact CRA pour les cédants et repreneurs : Christian Poulmarc’h – christian.poulmarch@cra-asso.org

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