DPE : LE CASSE-TÊTE DU BÂTI ANCIEN Technique

Rouen
Publié le par Mathias LOVAGLIO

Le nouveau DPE et ses incidences se heurtent à près de 200 années de politiques en faveur de la conservation et de la valorisation du patrimoine architectural et urbain initiées au XIXe siècle par des précurseurs comme Prosper Mérimée ou Eugène Viollet-le-Duc. Jugé par certains inadapté au bâti ancien, il suscite un conflit d’objectifs entre l’urgence de mener la transition environnementale des bâtiments et la préservation de l’identité des cœurs de ville comme des territoires ruraux. Mais un consensus peut-il être trouvé ? Et, si oui, quels moyens devront être mobilisés pour répondre à la fois aux enjeux environnementaux et patrimoniaux de façon véritablement efficace ?

Si tous les bâtiments antérieurs à 1948 ne présentent pas une valeur patrimoniale méritant un traitement particulier pour leur rénovation énergétique, le DPE et les mesures de la loi Climat et résilience posent tout de même une problématique : comment adapter les recommandations de travaux d’amélioration de la performance environnementale aux spécificités des bâtis anciens du fait de l’impossibilité de recourir à certaines solutions pour des raisons financières, architecturales ou techniques ?

Lors de son audition par la commission d’enquête sénatoriale sur la rénovation énergétique, Olivier Klein, ministre de la Ville et du Logement, a affirmé qu’il était « utile de ne plus faire évoluer le DPE ». Invité à s’exprimer sur la problématique du bâti ancien, il a indiqué qu’il n’était pas prévu d’évolution du DPE dans sa méthodologie « car il est déjà adapté aux bâtiments anciens », même s’il reconnait essayer de « de travailler à l’adaptation de ses critères ». Seulement, de nombreux acteurs du Patrimoine et de la Culture militent pour des évolutions bien plus profondes.

Le monde du patrimoine vent debout contre le DPE

Début juin, le G7 Patrimoine, qui réunit des associations de sauvegarde reconnues d’utilité publique, a publié un communiqué de presse afin de présenter 16 préconisations pour conjuguer transition écologique et respect du bâti ancien. Au-delà des bâtiments protégés, le bâti ancien représente quelque 10 millions de logements (60% de maisons et 40% d’immeubles) d’une grande diversité, depuis le petit habitat régional jusqu’aux immeubles haussmanniens, ce qui implique qu’il ne peut recevoir une réponse unique et standardisée pour sa rénovation énergétique. Pour autant, les associations du patrimoine restent convaincues qu’il est possible de conjuguer le respect du patrimoine ancien et l’urgence du défi climatique, à condition de sortir « de l’esprit de système « énergétique » qui impose un DPE unique et dans la foulée, des travaux indifférenciés ». Outre la préservation de sa valeur patrimoniale, le bâti traditionnel nécessite en effet un traitement spécifique afin d’éviter l’apparition de désordres (pourrissement des pierres tendres, dissolution des mortiers, prolifération des champignons dans les bois, mauvaise qualité de l’air intérieur, etc.). Ce constat et les solutions proposées par le G7 Patrimoine ont également été exposés à plusieurs reprises devant la commission d’enquête sénatoriale sur la rénovation énergétique, notamment lors de la séance du 1er février 2023 ou, plus récemment, lors d’une table ronde consacrée au patrimoine.

Un moratoire en attendant un DPE « bâti ancien »

Parmi ses préconisations, le G7 Patrimoine demande donc des évolutions réglementaires afin de faire reconnaitre la spécificité du bâti ancien, mais surtout un moratoire immédiat à l’application du DPE actuel jusqu’à la mise en place d’un DPE « bâti ancien », « accompagné d’un régime de travaux, propre au bâti traditionnel. Dans l’attente, la méthode « sur facture » (évaluation ex-post des consommations) pourrait être rétablie concernant le bâti ancien ». Les associations demandent également la suspension du calendrier d’application de la loi Climat et résilience aux immeubles d’avant 1948.

Le G7 Patrimoine préconise aussi de mieux former tous les acteurs aux enjeux et aux spécificités techniques de la rénovation énergétique, artisans, maitres d’œuvre, « conseillers Rénov », mais aussi les diagnostiqueurs immobiliers et les thermiciens : « ces métiers-clé ne sont pas assez régulés, tout professionnel pouvant intervenir dans le bâti ancien sans apporter la garantie sérieuse de sa compétence. Nous demandons que pour intervenir dans le bâti ancien, ces professionnels aient effectivement reçu une formation spécifique ».

Des problématiques techniques, architecturales et urbanistiques

Si cette dimension patrimoniale devait pleinement être prise en compte dans le DPE, elle nécessiterait donc de s’appuyer sur des spécialistes, à une échelle relativement locale, en raison de l’extrême diversité du bâti ancien en France. Certes, des ressources d’accompagnement se sont développées depuis plusieurs années à différentes échelles territoriales. Au niveau départemental, les CAUE* jouent un rôle important pour la promotion de la qualité architecturale, urbanistique et environnementale et s’affirment également comme des centres de ressources pour informer, sensibiliser et orienter vers des solutions techniques de rénovation énergétique adaptées aux spécificités du patrimoine local. À titre d’exemples, le CAUE du Tarn a mis en ligne des fiches présentant des rénovations de qualité, celui du Loir-et-Cher propose des cahiers de recommandations pour la rénovation de certaines typologies de bâti, etc. Mais bien d’autres initiatives portées par les DRAC (Direction régionale des Affaires culturelles), les ABF (Architectes des Bâtiments de France), programme Profeel, associations locales ou nationales… existent et produisent également leurs propres ressources. Fort logiquement, la multiplicité des ressources procède de la diversité des matériaux, des techniques et des architectures qui composent le bâti ancien. Et cette multiplicité démontre que la rénovation énergétique ne peut recevoir une réponse standardisée.

À cette diversité, s’ajoute parfois différents échelons administratifs qui gèrent des problématiques patrimoniales et urbanistiques : abords des Monuments historiques, Sites patrimoniaux remarquables (SPR, ex-AVAP, ZPPAUP ou secteurs sauvegardés), volet patrimonial des PLU, inscription à l’UNESCO, etc. Avec, pour conséquences, autant de prescriptions et de servitudes que d’interlocuteurs différents, à l’image du millefeuille administratif français.

Esquisse de cahier des charges pour un DPE bâti ancien

Il appartiendra donc au diagnostiqueur « spécialisé bâti ancien » de s’approprier à la fois les ressources et les réglementations afin d’établir des recommandations adaptées aux spécificités du bâti local, tant sur les plans technique que patrimonial. Il faudrait aussi que le DPE « bâti ancien » soit suffisamment flexible pour intégrer des recommandations spécifiques à chaque typologie de bâti que son moteur de calcul soit en capacité de traiter afin de générer une estimation des gains après travaux. Des évolutions qui devront également être étendues à l’audit énergétique réglementaire afin de garantir la faisabilité des solutions de rénovation possibles proposées aux propriétaires.

S’il devait voir le jour, et pour qu’il réponde bien au triple objectif qui lui sera fixé (informer, rénover et préserver), le DPE « bâti ancien », et par extension l’audit énergétique réglementaire, mobilisera des compétences et des connaissances larges, mais qui resteront souvent adaptées à un contexte local… Se pose dès lors la question de savoir si la formation complémentaire de ces futurs spécialistes ne devrait pas être assurée par des structures locales avec une approche transversale des disciplines et des acteurs au plus près des enjeux du territoire. Une formation et un savoir-faire qui ne seraient alors pas forcément « exportables » dans toutes les régions de France…

*CAUE : Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement

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