CHRONIQUE D’UN DIAGNOSTIQUEUR PRIS AU PIÈGE DES MAJORS DE L’IMMOBILIER

Syndics tarifs
Publié le par Mathias LOVAGLIO

Les grands groupes de la gestion immobilière ont entamé depuis plusieurs années une véritable stratégie de croissance par rachat de structures plus modestes. Cette situation, qui tend vers l’oligopole, n’est pas sans incidence pour les diagnostiqueurs immobiliers qui se voient imposer un fonctionnement déshumanisé et des tarifs inadaptés au développement d’une profession vertueuse. Victor*, diagnostiqueur, en a fait l’amère expérience.

 

Une transformation implacable de la relation « prescripteurs »

Tout commence en 2010 lorsque Victor rachète l’activité d’un confrère qui travaillait avec une importante agence Urbania représentant alors entre 60% et 80% du chiffre d’affaires. Pendant quelques années, tout s’est bien passé jusqu’à ce que Citya rachète l’agence Urbania et impose progressivement sa plateforme de diagnostic immobilier Snexi. « J’ai alors été contraint de signer un contrat commercial avec Snexi qui m’imposait une grille tarifaire très basse alors que, jusqu’à présent, je fixais librement mes tarifs. Pendant quelques temps, les anciens de l’agence ont pu continuer à me passer quelques commandes en direct, mais je n’étais plus le seul diagnostiqueur de l’agence et, de ce que j’ai compris, il était stipulé dans le contrat des nouveaux arrivants dans l’agence qu’ils avaient l’obligation de passer par Snexi. J’ignore si c’est vrai, mais il est certain qu’on leur mettait la pression. »

Au fil du temps, Victor a diversifié ses prescripteurs et la Snexi ne représentait plus, fin 2021, que 20% de son chiffre d’affaires. Il en tire néanmoins une certaine amertume : « J’ai acheté une activité avec un certain chiffre d’affaires qui intégrait le volume d’activité d’Urbania. Non seulement on m’a fait baisser mes tarifs, mais en plus on a divisé mon volume d’activité entre plusieurs intervenants. »

Les tarifs pratiqués parlent d’eux-mêmes : 210€ HT selon la grille tarifaire de 2017 pour le DDT location d’un appartement T2 comprenant mesurage Boutin, diagnostic électricité, DPE et DAPP. « Dans la grille, les tarifs sont déjà bas, mais en plus on vous impose des remises automatiques : -20% pour 2 diagnostics, -30% pour 3 diagnostics et -35% pour 4 diagnostics ou plus. Ce sont des prix nationaux qui ne tiennent pas compte du contexte et du marché locaux. » Après remise, la prestation tombe donc à 136,50€ HT soit un prix unitaire de 34€ HT par diagnostic.

Victor a pourtant bien essayé d’instaurer un dialogue avec Snexi : « Je les ai avertis que leurs tarifs n’allaient pas s’ils voulaient un job de qualité. Je ne comprends pas leur démarche. Quand vous bossez en local, vous vous entendez bien avec les directeurs d’agence. Mais maintenant, ils appliquent le process imposé par le réseau national. Quand vous essayez ensuite de joindre les gens de chez Snexi, soit ils s’en foutent parce qu’ils ont une liste de prestataires référencés et qu’ils détiennent 80% du marché, soit ils vous servent un discours formaté comme quoi ils nous considèrent comme des partenaires et que nous sommes aussi gagnants avec ce mode de fonctionnement. On se croirait dans la grande distribution. »

« Cette ubérisation ne correspond pas à l’image que je me fais du métier »

Victor a aussi l’impression que l’aspect humain et la plus-value de son métier sont sacrifiés. « On a perdu le fonctionnement d’avant où on allait dans les agences pour discuter, rencontrer et faire un compte-rendu des visites. On perd totalement le lien avec le client au niveau local en ne traitant qu’avec une plateforme nationale. Il y a un côté ubérisation qui est dérangeant car il ne parait pas adapté à l’idée que je me fais du métier, même si je comprends les avantages pour leur fonctionnement et la facture de leurs clients. Avec ces tarifs, il faudrait faire 5 ou 6 missions par jour. C’est peut-être possible et intéressant pour les cabinets qui ont des salariés, mais pour un solo c’est difficile. Et puis comment peut-on bien faire son travail et engager notre responsabilité dans ces conditions ? Il me parait évident que cette dérive, favorisant un fonctionnement au « volume », a une incidence inévitable sur la qualité et le sérieux des interventions et accroit donc le risque de sinistres dans notre profession. Ce mode de fonctionnement et ces tarifs suggèrent aussi l’idée que les diagnostics immobiliers ne servent à rien. »

 

Des pratiques qui interrogent la déontologie

Victor a pu nous communiquer des devis et factures de Snexi. Le cas d’un DDT vente (novembre 2021) d’un appartement incluant Carrez, amiante, DPE et électricité permet de comprendre le montage financier de l’opération. Sur un devis total de 231€ HT :

  • Le client vendeur va payer 136€ HT à Snexi pour la commande des diagnostics (163,20€ TTC)
  • L’agence Citya va prendre à sa charge 95€ HT sur le devis
  • Snexi verse 156€ HT au diagnostiqueur pour la réalisation des diagnostics

Sur l’opération, Snexi aura donc encaissé 75€ HT pour la simple gestion commerciale et administrative, tandis que le diagnostiqueur à peine plus du double. Le client, en plus de tarifs bas, aura eu l’impression de bénéficier d’une remise commerciale de 95 € HT alors qu’ainsi Citya paie son utilisation de la plateforme Snexi pourtant détenue par le même groupe.

« On arrive à un système où ce sont les agences qui vendent du diagnostic. Bien sûr, cela passe par des structures parallèles, ce qui juridiquement est probablement légal. Mais sur le principe, c’est anormal. Sans parler des cas où les agences immobilières offrent les diagnostics à leurs clients en nous demandant un tarif. Les notaires qui ont de grosses études commencent aussi à créer leur service transactions avec le même principe. Cela pose un problème déontologique, d’autant plus que nous signons un contrat commercial qui nous impose des remises automatiques. Nous sommes censés être indépendants, impartiaux et n’avoir aucun lien commercial avec le client. Mais là, nous en avons un. En conclusion, soit il y a un problème qu’il soit juridique ou déontologique et il est crucial de rappeler les règles fixées par l’ordonnance, soit c’est acceptable et il faut alors revaloriser les tarifs pratiqués. On met en danger le fonctionnement des indépendants. On paie une formation, une certification, une assurance… On veut nous rendre plus responsables et plus professionnels, tout devient plus complexe et technique. Mais ces pratiques vont à l’encontre de la démarche initiée depuis des années pour professionnaliser notre métier. À 40€ le diagnostic amiante, nous ne pourrons pas y arriver ! »

Dans sa dernière étude**, le cabinet XERFI Precepta n’hésite d’ailleurs pas à avancer que : « la profession […] verse éventuellement des commissions en cas de mise en relation par un intermédiaire à l’instar de Constatimmo ou Snexi ».

« Ces gros réseaux et leurs pratiques nous dépossèdent de nos clients »

Victor a eu l’occasion d’échanger sur ce sujet avec ses confrères locaux. Il est évident que mettre tout le monde d’accord sur un rejet unanime d’acteurs aussi bien implantés localement parait illusoire. D’autant plus que la concentration de la gestion immobilière au sein de grands groupes tels Citya ou encore Foncia avec sa plateforme Constatimmo, n’a aucune raison de s’arrêter là comme l’analysait récemment Olivier Rolina du cabinet Légimétrie à Marseille.

« On ne sait pas vers qui se tourner. Les fédérations n’ont pas l’air de s’intéresser au sujet. On pourrait interroger un avocat pour s’assurer que la pratique est conforme aux règles de notre profession ». En tous cas, pas vers Citya et Snexi. À force de râler sur les tarifs, Victor vient d’être radié de leurs listes de prestataires après près de 5 ans de bons et loyaux services…. « Je leur ai répété que leurs tarifs n’incitaient pas les diagnostiqueurs à intervenir rapidement, voire pas du tout. Sans nul doute une information tout à fait incroyable pour eux, en tous cas intolérable, qui m’a donc valu cette radiation sans préavis puisqu’il leur suffit de me supprimer de la liste des intervenants possibles. Je viens donc de perdre un client très important pour moi, voire 2 puisqu’un autre de mes clients vient à son tour d’être racheté par Citya ! Ces gros réseaux et leurs pratiques nous dépossèdent de nos clients que nous avons acquis par rachat d’activité ou après plusieurs années d’exercice. Nous sommes donc complètement à la merci de leur domination, et je me sens démuni. »

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*Pour des raisons de confidentialité, un prénom d’emprunt a été utilisé.

** XERFI Precepta, Le marché du diagnostic immobilier, face à la réforme du DPE, septembre 2021, p.43

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7 commentaires

  • Stéphane DAPREMONT a écrit

    Situation pitoyable n’existant que grâce à la collaboration idiote d’odi se rendant esclaves de profiteurs comme dans bien d’autres métiers.
    Je ne comprendrais jamais comment on peut vouloir se mettre à son compte en se mettant aux ordres de brasseurs de vent, autant rester salarié qui est un statut bien plus sécurisant et rémunérateur !

    • Frédéric DENIS-LAROQUE a écrit

      Bonjour Stéphane DAPREMONT,

      Je suis d’accord avec vous.
      La coopération avec les apporteurs d’affaires doit rester dans le cadre que la loi nous impose au niveau de l’impartialité et de l’indépendance.
      On est malheureusement confronté à des réseaux d’agences immobilières qui ont les pratiques décrites dans cet article, tout comme des diagnostiqueurs qui vont jusqu’à rémunérer les agents immobiliers en apportant régulièrement un chèque en main propre au directeur de l’agence. (cela m’a été confirmé par une agence qui m’a dit explicitement qu’il ne m’apporteront pas d’affaires si je ne me plie pas à cette bassesse)

      Je préfère continuer à pratiquer mon activité en toute indépendance, avec les difficultés que ça peut représenter pour trouver des affaires, et je me permets d’offrir un boite de chocolats ou quelques goodies de temps en temps aux agences qui me font confiance.

      Peut-être aura-t-on un jour l’occasion d’en parler tous les deux si j’ai le plaisir de vous rencontrer, car j’entends très souvent parler de vous à Gisors et alentours 😉

  • Vincent TENA a écrit

    Cette situation est tout simplement scandaleuse, c’est de l’esclavagisme moderne d’imposer de tels tarifs. Pour exemple, notre plus gros client historique (17 ans de collaboration), vient d’être racheté par Foncia et de ce fait, de passer sous les griffes de constatimmo. Bilan de tout ça ? Diminution de la rémunération par mission d’environ 50%. A ces tarifs la, impossible de travailler correctement et d’être réactif. Leur retour ? vous n’êtes pas les seuls à nous le dire, mais les autres le font quand même. D’accord, ça sera sans nous dans ce cas.

  • Antoine JUMELLE a écrit

    Les gros cherche toujours plus de rendement et écrasent les petits – c’est triste et injuste ma la vie n’est pas un kiwi ! C’est comme ça et ça durera. La solution : Se mettre tous d’accord pour refuser ce système et ne pas brader notre métier. C’est beau mais assez utopique. Alors peut-être que la seule façon d’y arriver c’est de rendre les tarifs imposés par l’état. Les trois au 4 grandes fédérations pourraient y arriver – si elle le veulent vraiment toutes. Mais alors nous ne seront plus du tout maîtres de nos tarifs. … Je ne sais pas quoi penser…

  • Yannick GUERVILLY a écrit

    Peut-être que les différentes fédérations pourraient mandater leurs avocats pour se pencher sur ces dossiers de partenariats à la limite de la légalité à condition bien sûr que ces fédérations représentent vraiment les indépendants et non les grands groupes de diag et les franchises qui adorent ce genre de partenariats.
    En ce qui concerne L’entreprise citée on peut se poser des questions sur son indépendance et sa légalité puisque le site internet est hébergé par Foncia (Data Center Equinix). On n’y trouve aucuns liens vers des certifications ou assurances spécifiques, hors il me semble que nous les diagnostiqueurs, si nous faisons appel à de la sous-traitance pour un diagnostic nous nous devons d’être assuré et certifié pour celui-ci.
    Tout le problème du flou juridique autour de toutes ces plateformes de mise en relation qui prennent une rémunération énorme sur le travail des autres sans prendre aucun risque.

  • François-Eric TÉTART a écrit

    Si les agences du réseau sont réellement obligées de passer par cette plateforme, alors il n’y a plus d’indépendance.

    Le lien entre un diagnostiqueur et une agence est contraire à la réglementation. Si on n’est pas hypocrite, cela doit aussi s’appliquer à la plateforme de diagnostic puisqu’elle a recours uniquement aux ODI inscrits chez elle, et qui ont acceptés ses conditions (tarifaires et ainsi de suite).

    L’agence est liée à la plateforme, et l’ODI est également lié à elle. Je vois pas comment on peut dire qu’il n’existe aucun lien entre le mandataire du propriétaire (l’agence) et l’ODI.

  • philippot gaelle a écrit

    Bonjour
    J’exerce sur une petite commune du Nord
    J’ai eu la même expérience en 2020 .
    Evidement vue leur proposition, j’ai refusé. Ils m’ont affirmé que j’avais pas le choix et que si je n’adhérais pas à leur plate forme, je n’aurai plus travail.
    On était 3 diagnostiqueurs sur le secteur
    La 1er moi , j’ai refusé
    La 2éme (comme c’était une franchise) a été obligé d’adhérer mais il rendait ses rapports 2 semaines plus tard. (ce qui posait pbs aux agences)
    Quant au 3éme , au bout de quelques semaines il a arrêter car il se retrouver a être le seul à faire ses diagnostic pour eux. Et que financièrement ce n’était pas viable.
    Résultat des courses au bout de 6 mois ,les agences ne voulaient plus travailler avec eux car ils avaient beaucoup de mal à trouver des diagnostiqueurs fiables.
    Donc mon conseil , REFUSER LEUR CONTRAT . Il ne faut pas oublier que c’est EUX QUI ON BESOIN DE NOUS et pas l’inverse.
    Aujourd’hui la situation est revenue à la normale et nous n’entendons plus parler de cette plate forme

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