EN L’ABSENCE DE DÉMONSTRATION D’UN PRÉJUDICE, UN DIAGNOSTIQUEUR FAUTIF ÉCHAPPE À LA CONDAMNATION EN APPEL Veille juridique

Cour d'appel
Publié le par Mathias LOVAGLIO

Son rapport de repérage amiante avant travaux était certes incomplet mais, en l’absence de démonstration d’un préjudice, la faute de ce diagnostiqueur n’a pas entrainé d’indemnisation du surcoût du désamiantage des matériaux amiantés non repérés. Un arrêt de la cour d’appel de Nancy commenté par Me Aline Faucheur-Schiochet (Filor Avocats) et Antoine Pietrini (Assist’Amiante et FormXpert).

200 000 € d’indemnisation pour le désamiantage en première instance

Une association souhaitait effectuer des travaux dans un immeuble dont elle est propriétaire et avait confié la réalisation d’un repérage amiante avant travaux à un diagnostiqueur immobilier. Le rapport, daté d’août 2017, révélait la présence d’amiante dans plusieurs matériaux. Mais au cours des travaux, des matériaux susceptibles de contenir de l’amiante qui n’avaient pas été signalés dans le rapport sont découverts provoquant l’arrêt des travaux le temps de réaliser les analyses complémentaires qui se sont avérées positives pour des colles et des revêtements de sol. L’association, se prévalant d’un manquement contractuel du diagnostiqueur, a donc assigné en justice ce dernier et son assureur afin d’être indemnisée de son préjudice.

Par jugement du 20 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Bar-le-Duc les condamne in solidum à payer près de 200 000 € à l’association après avoir estimé que le diagnostiqueur avait manqué à ses obligations contractuelles. Celui-ci est reconnu fautif de ne pas avoir mené les investigations approfondies nécessaires que lui imposait son « obligation de contrôle renforcée » alors que l’association avait pu légitimement croire que le rapport était exhaustif : « l’obligation contractuelle [du diagnostiqueur] ne se limitait pas à l’appréciation de la norme AFNOR NF X 46-020 et, dans l’hypothèse de la présence d’enfants dans l’immeuble au moment de la réalisation de la mission, présence au demeurant non démontrée, il [lui] incombait […] d’exiger leur évacuation si elle était nécessaire à la bonne réalisation de sa mission ». Le tribunal a donc estimé que les travaux de désamiantage constituaient un préjudice indemnisable puisqu’il existait un lien de causalité entre l’insuffisance du repérage d’amiante et le surcoût des travaux de désamiantage. Il a considéré que le préjudice de l’association concernait non pas l’ensemble des coûts de désamiantage, mais uniquement les travaux consécutifs à la découverte d’amiante non détecté initialement.

Lourdement condamné (environ 200 000 €), le diagnostiqueur décide d’interjeter appel en vue d’infirmer toutes les dispositions du jugement et de débouter l’association de ses demandes en indemnisation. L’arrêt du 27 mars 2023 de la cour d’appel de Nancy, s’il confirme sa faute, va finalement lui permettre d’échapper à toute indemnisation.

La faute du diagnostiqueur confirmée en appel…

Pour sa défense, le diagnostiqueur explique avoir strictement respecté la règlementation et les normes applicables en matière de repérage amiante avant travaux et démolition et qu’il ne rentrait pas dans le cadre de sa mission de procéder à des sondages destructifs. Il expose avoir réalisé trois prélèvements à des endroits différents s’agissant du revêtement des sols et que seul l’un d’entre eux est revenu positif après analyse dans un laboratoire certifié. Pour le diagnostiqueur, il appartenait dès lors au maître d’œuvre, au maître de l’ouvrage et à l’entreprise de désamiantage de prendre leurs responsabilités quant aux précautions à prendre pour la réalisation des travaux. Une appréciation contredite par la cour d’appel qui estime au contraire que « le repérage réalisé pour un diagnostic avant travaux doit permettre au propriétaire d’avoir connaissance de l’ensemble des matériaux ou produits susceptibles de contenir de l’amiante afin de garantir la sécurité des intervenants sur le chantier. Le diagnostiqueur est donc également tenu de réaliser des investigations approfondies destructives. Il ressort [de la norme NF X 46-020 et de son Annexe A] que le nombre de prélèvements mentionnés au tableau A.1 n’est qu’un minimum et le diagnostiqueur doit réaliser des sondages supplémentaires notamment dans l’hypothèse de constats hétérogènes ». Il lui appartenait ainsi de déterminer le nombre supplémentaire de sondages à effectuer pour déterminer la limite des zones de repérage concernées. « Il est dès lors indifférent qu’il ait respecté le nombre minimal de sondages, puisque sa mission consiste à indiquer dans son rapport tous les matériaux et produits contenant de l’amiante. Dès lors, en présence de sols de même nature que ceux où il a découvert de l’amiante, il devait les désigner comme susceptibles d’en contenir également. Et en présence de sols de natures différentes de ceux où de l’amiante avait été découvert, il devait procéder à des investigations supplémentaires », conclut la cour. Par ailleurs, l’argument de l’occupation des locaux par des enfants est réfuté car, d’une part, le diagnostiqueur ne démontre pas ses allégations et, d’autre part, il lui incombait de demander la libération des lieux ou de signaler dans son rapport les locaux non visités, ce qui n’a pas été fait. La cour d’appel confirme donc le caractère incomplet du rapport de repérage et les manquements du diagnostiqueur dans l’exécution de sa prestation.

Le préjudice n’est pas démontré, le diagnostiqueur échappe à l’indemnisation

Mais si sa responsabilité est bien engagée, le diagnostiqueur va néanmoins échapper à toute indemnisation. En effet, la cour d’appel rappelle que l’association doit non seulement rapporter la preuve de l’existence et de l’importance des préjudices subis mais également celle d’un lien de causalité entre chaque préjudice et la faute retenue à l’encontre du diagnostiqueur. Or, sur ce point, la cour d’appel va infirmer le jugement du tribunal de Bar-le-Duc qui avait considéré que le surcoût des travaux de désamiantage consécutifs à la découverte d’amiante non détecté constituait un préjudice indemnisable. Pour la cour d’appel, dès lors qu’il envisage de réaliser des travaux, un maître d’ouvrage doit supporter l’intégralité du coût du désamiantage. « Si d’autres conséquences de l’erreur du diagnostiqueur, comme par exemple le retard pris dans les travaux à cause de la découverte tardive d’amiante, présentent un lien de causalité direct avec ce manquement, il n’en va pas de même du surcoût du désamiantage qui doit de ce fait rester à la charge du propriétaire ». Comme il n’est pas démontré que l’association n’aurait pas entrepris les travaux si le rapport du diagnostiqueur avait été complet, la cour d’appel infirme donc le premier jugement et déboute l’association de sa demande d’indemnisation.

Avocate chargée de la défense du diagnostiqueur, Me Aline Faucheur-Schiochet (Filor Avocats) revient sur cette décision : « En appel, nous avons plaidé l’absence de faute en arguant que la norme était respectée et que l’obligation de contrôle renforcée avancée par le premier juge s’apparentait non plus à une obligation de moyens, mais à une obligation de résultats. Si la cour d’appel a confirmé la faute du diagnostiqueur, elle a cependant retenu notre argumentation concernant l’absence de lien de causalité entre l’erreur et le préjudice. En tout état de cause, le surcoût des travaux n’est pas la conséquence de la découverte tardive du matériau amianté mais bien uniquement la conséquence de la présence d’amiante dans ces matériaux. Par ailleurs, l’association ne démontre pas qu’elle n’aurait pas procédé aux travaux si elle avait été informée de cette présence ».

Cette décision est somme toute logique pour Antoine Pietrini (Assist’Amiante et FormXpert) puisque l’erreur est sans conséquence en termes de préjudice démontré : « elle rappelle néanmoins qu’il est important de bien construire les ZPSO et d’utiliser à bon escient le tableau de l’annexe de la norme NF X46-020 qui fixe les sondages et les prélèvements à réaliser. Le raisonnement qui doit primer est de dérouler la procédure (identification précise du MPsCA, élément-témoin, sondages rapportés validant la ZPSO et éventuellement prélèvements) autant de fois qu’il a été repéré d’occurrences de matériaux différents ».

27 mars 2023, Cour d’appel de Nancy, RG n° 22/00275

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