COMPLÉMENT D’ENQUÊTE SUR LE DPE : LA JOURNALISTE SOLÈNE PATRON RÉPOND AUX QUESTIONS DE DIAGACTU Interview

Publié le par Mathias LOVAGLIO

Le magazine d’investigation Complément d’enquête s’est plongé au cœur du DPE, un dispositif devenu central dans les transactions immobilières mais aussi source de controverses. Entre pressions économiques et dérives de certains acteurs de la filière, cette enquête met en lumière les défis d’une profession sous haute surveillance. Dans cet entretien pour Diagactu, Solène Patron, journaliste de l’émission, nous dévoile, avant sa diffusion le jeudi 20 mars, les coulisses de son investigation et les principaux enseignements qu’elle en retire.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée au sujet des passoires thermiques et du DPE ?

Tout a commencé il y a deux ans, à l’occasion d’un précédent reportage de Complément d’enquête sur la rénovation énergétique consacré notamment au dispositif Ma Prime Rénov’, l’une des mesures phares du gouvernement pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre des logements*. Or, avant de pouvoir accéder à Ma Prime Rénov’, il fallait que le consommateur ait fait un DPE. En discutant avec des acteurs du secteur, nous avons réalisé que ce DPE était en train de devenir un document crucial dans le cadre de n’importe quelle vente ou location. Nous avons donc pensé qu’il pourrait être intéressant de creuser le sujet de la rénovation énergétique, mais sous l’angle du DPE, en le mettant en perspective avec la promesse de campagne d’Emmanuel Macron d’éradiquer les passoires thermiques en France sous 5 ans. C’était d’autant plus intéressant de faire cette enquête maintenant que, depuis le 1er janvier 2025, l’interdiction de mise en location des logements classés G est entrée en vigueur. C’est un moment de bascule qui nous a intéressés : Pourquoi cet outil, que tout le monde est amené à côtoyer un jour ou l’autre, est-il si décrié ? Ce fameux DPE Bashing dont on entend tout le temps parler est-il légitime ? Où sont les points d’amélioration ?

Comment avez-vous procédé pour mener vos investigations ?

Cette enquête a mobilisé trois journalistes, Rébecca Khananie et moi-même, ainsi que Xavier Deleu pour le montage. Nous avons commencé à travailler en octobre 2024, ce qui représente près de 5 mois d’enquête à temps plein sur cette question du DPE. Comme pour toute enquête, nous avons commencé par contacter des dizaines d’acteurs du secteur, des spécialistes les plus variés possibles, afin d’identifier les problématiques majeures.

Au cours de cette première phase, nous nous sommes dit que nous ne souhaitions pas concentrer notre enquête uniquement sur les diagnostiqueurs, ce qui est souvent le cas lorsque que l’on parle de DPE. Certes, nous avons commencé par enquêter auprès des diagnostiqueurs sur le terrain mais nous avons ensuite choisi d’élargir nos recherches à d’autres acteurs du secteur afin d’avoir une vision plus globale de l’écosystème du diagnostic. Nous avons donc interrogé des diagnostiqueurs indépendants, des salariés, des chefs d’entreprise, mais aussi des formateurs, des certificateurs et bien sûr les pouvoirs publics. Nous avons eu des échanges avec la répression des fraudes, l’Ademe et la DHUP.

Quelles sont les principales problématiques que vous avez alors identifiées ?

Nous avons vite compris qu’il n’existe pas de diagnostiqueurs qui arrivent dans le métier avec la volonté de mal faire ou de produire des DPE erronés, voire falsifiés. Pourtant, en 2023, la DGCCRF révélait dans une enquête que 69% des établissements de diagnostics qu’elle a contrôlés ne respectaient pas leurs obligations commerciales. Par ailleurs, le nombre de litiges pour des DPE erronés ou frauduleux augmente. Mais si les diagnostiqueurs n’arrivent pas dans le métier avec de mauvaises intentions, comment expliquer alors ces problématiques et ces incohérences sur les DPE, sans forcément parler de fraude avérée, mais en tout cas d’erreurs qui peuvent coûter cher aux acheteurs ou aux locataires ?

Les problématiques que nous avons soulevées sont assez larges. Cela va des cadences trop importantes qui obligent le diagnostiqueur à travailler trop vite à des pressions récurrentes des vendeurs, des agences immobilières. Le diagnostiqueur est censé faire preuve de neutralité, mais il se retrouve constamment dans une position tiraillée par des intérêts contraires. Nous l’avons constaté en nous rapprochant d’agences immobilières et de vendeurs.

Cette enquête a aussi permis d’interroger la responsabilité des organismes de certification. Les contrôles sont-ils toujours efficaces ? Sont-ils toujours réalisés ? Je ne mets pas tout le monde dans le même sac, mais nous avons constaté que certains organismes ne jouent pas toujours leur rôle de gendarme de la profession en n’honorant pas toujours les contrôles qu’ils doivent effectuer.

Comment expliquez-vous ces problématiques qui affectent la profession ?

On fait peser énormément d’enjeux sur le DPE et les diagnostiqueurs alors que le DPE n’est réellement devenu pleinement opposable qu’en 2021 et que la profession est encore assez jeune. En quelques années, nous sommes passés d’une profession peu réglementée à une profession beaucoup plus encadrée et soumise à des contrôles plus réguliers et des formations plus longues. Le diagnostiqueur est aujourd’hui plus contrôlé que bien des professions. Mais bien que cette réglementation existe, elle n’est pas toujours respectée, et c’est là que le bât blesse. Certains acteurs de ce secteur, qu’il s’agisse de sociétés de diagnostic immobilier, de plateformes de mise en relation, de centres de certification ou de formation, ont conservé les habitudes d’un temps où la profession était beaucoup moins réglementée et s’accordent le droit de ne pas jouer avec les mêmes règles que les autres. Au point, qu’aujourd’hui, il est assez facile, pour ne pas dire très facile, d’obtenir des DPE arrangeants. On peut constater des erreurs énormes de cohérence sur des DPE sans que cela fasse l’objet d’une alerte de l’Ademe ou de la DGCCRF par exemple.

Vous avez également enquêté sur le rôle des pouvoirs publics. Qu’en avez-vous tiré comme enseignements ?

Si le grand public risque d’être surpris par certaines de nos découvertes, je suis persuadée que, dans le milieu, énormément de dérives sont déjà connues et qu’elles ont été remontées par certains acteurs aux pouvoirs publics. Il serait faux de dire que nous sommes les premiers à le faire. On m’a transmis à plusieurs reprises des mails de formateurs, de certificateurs, de représentants de la profession qui ont tenté d’alerter la DHUP et le ministère sur ces questions. Et pourtant, ces problématiques demeurent. Je parle de problèmes de DPE erronés, frauduleux mais aussi de problématiques liées à leurs outils qui les empêchent de travailler correctement comme les logiciels. Sur tout cela, la DHUP met du temps à réagir. Selon les diagnostiqueurs, il y a un problème de temporalité car, pendant ce temps-là, sur chaque vente qui se concrétise, une erreur d’une classe peut représenter un préjudice important pour un acheteur.

La seconde problématique des pouvoirs publics, c’est d’avoir mis en place une réglementation sans toujours vérifier si cette réglementation est bien suivie et respectée. On a décidé que le diagnostiqueur devait être surveillé via des contrôles sur ouvrage et des contrôles documentaires, mais ont-ils tous réellement lieu ? Les contrôles documentaires sont-ils toujours faits dans les règles de l’art ? Sont-ils réellement pertinents et efficaces face à des acteurs qui ont décidé de ne pas jouer le jeu ? Notre enquête nous a montré que cela n’était pas toujours le cas.

Je pense que l’on gagnerait à ce que les pouvoirs publics se repenchent sur les réglementations, pas forcément pour complexifier le mille-feuille réglementaire existant, mais au moins pour vérifier davantage son respect. C’est en partie le sens du plan que vient d’annoncer la ministre chargée du Logement. La DGCCRF a un rôle central à jouer mais, aujourd’hui, c’est une institution publique qui est sous-dotée. Si on souhaitait que la profession soit plus contrôlée sur le terrain, il faudrait que les contrôles de la DGCCRF soient plus nombreux.

Selon vous, quelle est la part de responsabilité des diagnostiqueurs dans cette situation ?

Un diagnostiqueur qui accepte de frauder ou de tricher, sous la pression d’un vendeur, d’un bailleur, d’une agence immobilière ou de son employeur, ne respecte pas les engagements de sa profession. Tous ceux qui travaillent bien dans la profession en ont assez que certains acceptent ces pratiques. Mais il y a une coresponsabilité des acteurs dans ces dérives. Un diagnostiqueur qui fraude ou qui commet des erreurs le fait rarement tout seul. Nous pouvons trouver des explications dans l’écosystème de la profession.

Je crois d’ailleurs qu’il est important de rappeler au consommateur qu’il n’a pas à essayer de pousser un diagnostiqueur dans un sens ou dans l’autre. Ceux qui font appel à un diagnostiqueur doivent aussi avoir en tête qu’une mauvaise note au DPE est certes contraignante, mais toujours préférable à une note trafiquée avec laquelle ils s’exposent à des litiges. Le consommateur doit prendre conscience que le DPE est un document important qu’on ne peut pas bidouiller sans conséquences. Il faut faire appel à des diagnostiqueurs sérieux qui peuvent se rémunérer correctement et qui auront plus de chance de bien faire leur travail, plutôt que de chercher le prix le moins cher ou à influencer la note.

Je ne peux que déplorer cette situation parce que le rôle du diagnostiqueur est essentiel. Nous avons tendance à nous concentrer sur le DPE, y compris les médias, parce qu’il est au cœur de l’actualité, parce que c’est ce qui intéresse aujourd’hui le plus les acheteurs, les vendeurs, les bailleurs en raison de son poids économique. Notre rôle de journalistes d’investigation est un peu particulier. Notre travail consiste plutôt à pointer les trains qui arrivent en retard plutôt que ceux qui arrivent à l’heure, dans l’espoir qu’il y ait des prises de conscience et que les choses s’améliorent ensuite. Néanmoins, en procédant ainsi, nous omettons de parler d’un certain nombre de diagnostics opposables extrêmement importants sur lesquels les diagnostiqueurs jouent un rôle sécuritaire essentiel. Beaucoup de professionnels regrettent d’être perçus comme des machines à imprimer des DPE. Mais faire un DPE est extrêmement complexe, tout comme les autres diagnostics. Pour nous qui vivons dans ces logements, il est important que cela soit bien fait. C’est ce qui est regrettable dans ces dérives, elles jettent l’opprobre sur une profession qui est essentielle.

Au terme de cette enquête, quel regard portez-vous sur le métier de diagnostiqueur ?

La profession compte de très bons professionnels dont certains ont accepté de témoigner à visage découvert pour livrer leur analyse. Nous avons rencontré des diagnostiqueurs que je qualifierais d’extrêmement compétents, très érudits sur le monde de la rénovation énergétique et du bâtiment et donc passionnés par leur métier. Ces professionnels sont eux-mêmes lassés des dérives qui donnent une mauvaise image de leur profession. Ils sont souvent les premiers à réclamer plus de formations ou encore des organismes de certification qui joueraient plus rigoureusement leur rôle. Il y a une énorme partie des diagnostiqueurs immobiliers qui est très professionnelle et qui fait très bien son travail.

Comme je le disais, la profession est encore jeune et le DPE opposable est une mesure encore récente, mais je pense que les choses peuvent évoluer positivement si on laisse le temps aux diagnostiqueurs de monter en compétences, à condition aussi que certains prennent conscience qu’ils sont des acteurs indépendants et ne doivent pas se laisser influencer par des enjeux économiques.

* Rénovation énergétique : des milliards dépensés pour rien ?, une enquête de Nolwenn Le Fustec pour Complément d’Enquête, 2 mars 2023.

NDLR : Le reportage de Complément d’enquête« Passoires thermiques : la pompe à fric » sera diffusé le jeudi 20 mars 2025 à 23h00 sur France 2. La rédaction de Diagactu n’a pas pu visionner, en avant-première, ce reportage pour prendre connaissance de son contenu détaillé.

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