PARIS : LES PARADOXES D’UN « MARCHÉ DU DIAGNOSTIC SINISTRÉ » Profession

Paris - vue panoramique
Publié le par Mathias LOVAGLIO

Avec plus de 35 000 transactions annuelles rien que dans Paris, des prix de vente moyens largement au-dessus des autres régions et une proportion de logements anciens très importante, on pourrait croire que le marché du diagnostic immobilier en région parisienne est facile d’accès. Pour autant, s’y faire une place actuellement se révèle plus compliqué en raison d’une concurrence agressive et, semble-t-il, pas toujours consciencieuse. Stéphane Souchaud, du cabinet Best Diag Immo sur Paris et en Île-de-France, et Guy Barta, administrateur de la FIDI et diagnostiqueur solo dans le 13e arrondissement (Inside Diagnostic), livrent leurs visions du marché parisien, de ses difficultés mais aussi de ses potentiels.

La qualité sacrifiée sur l’autel du low-cost ?

« Nous sommes dans un marché sinistré », s’indigne d’entrée Stéphane Souchaud. Depuis 4 ans à la tête du cabinet Best Diag Immo qu’il a cofondé avec Rachel Burban, son associée en charge de la partie administrative, ce diagnostiqueur ne mâche pas ses mots. « On doit se battre sur chaque devis car nous sommes en concurrence avec des offres à 120 € pour un pack complet et mon associée passe beaucoup de temps à expliquer en quoi consiste un diagnostic bien fait et quel est son intérêt notamment d’obtenir une note énergétique non dégradée. Elle informe entre autres que nous passons 3h en moyenne pour un T2 et non 1h comme un grand nombre d’acteurs sur le marché parisien ».

Il connait bien les méthodes des « margoulins » pour avoir travaillé trois semaines en stage avec eux avant de créer sa société : « Je n’avais aucune expérience dans le domaine et je voulais monter ma boite. J’ai tourné avec le responsable d’une équipe de 5/6 diagnostiqueurs. Il fallait faire 5 ou 6 missions par jour, la plupart avec l’ensemble des diagnostics. Ils sont assez malins. Leur méthode consiste à diminuer le risque afin de ne pas être mis en cause. Par exemple, pour l’électricité, ils n’ouvraient pas les compteurs, ils ne repéraient que les anomalies qui sautaient aux yeux. La plupart du temps, les appareils de mesure restaient dans la voiture. Mais dès que c’était un peu vétuste, ils ne prenaient pas de risque en notant qu’il fallait tout refaire. Le but c’est de faire du fric en faisant le maximum de missions en un minimum de temps ». Régulièrement, Stéphane Souchaud a constaté le manque de qualité des diagnostics : « Je crois que c’est volontaire. Les gens sont compétents mais n’ont pas le temps de faire correctement leur travail à des prix aussi bas. Ce sont des pratiques quasi-institutionnalisées pour certains ». Pour lui, les conclusions des récentes enquêtes menées par les médias sur le DPE ne sont donc pas une surprise.

Pour sa part, installé de plus longue date (2008), Guy Barta, lui, ne souffre pas plus de la concurrence qu’avant : « j’ai un réseau tel que ce sont mes anciens clients qui me ramènent des nouveaux clients. Même si cela se dégonfle chez l’un, c’est compensé parce que cela se regonfle chez un autre ». Les remontées des adhérents de la FIDI, dont il est l’un des administrateurs, font état d’un marché qui ne se porte pas si mal avec des progressions en 2022 : « les entreprises ont toujours du travail. Les entreprises de taille moyenne, entre 5 et 50 salariés, se montrent beaucoup plus inquiètes parce qu’elles travaillent sur les gros marchés qui ont subi un coup de frein. Certes, on constate tout de même un ralentissement au niveau de la vente et la location tourne tant bien que mal. Il y a moins de demandes ce qui incite les vendeurs à essayer de vendre seuls et, dans ce cas-là, ils ont tendance à s’orienter vers le diagnostiqueur le moins-disant plutôt que le plus qualitatif. C’est un sujet très compliqué car les tarifs sont libres. Le bon sens voudrait que le nouvel entrant fasse une véritable étude de marché et qu’il établisse sa grille en comptant tout, pas seulement son travail, mais aussi une assurance sérieuse, sa retraite d’indépendant, etc. Cela n’est pas facile, je le sais ».

« On parle d’un prix minimum des diagnostics, ce serait la base », estime pour sa part Stéphane Souchaud. « Certains disent que cela permettrait aux low-cost de faire plus d’argent, pas du tout ! Au contraire, ils seraient alors en concurrence avec les cabinets sérieux. On arrive à s’en sortir en étant plus cher alors s’ils étaient au même prix que nous, ils ne nous feraient pas concurrence ».

Le DPE opposable et la loi Climat et résilience, « une bénédiction ! »

« On s’est lancés sans réseau particulier. Au début, avec le chômage ça allait. Aujourd’hui on s’en sort, mais ça reste difficile » constate Stéphane Souchaud. Pour autant, il reste passionné par ce métier qui lui permet de rencontrer énormément de personnes d’horizons divers et d’apprendre chaque jour. Surtout, il voit le nouveau DPE et les mesures contraignantes qui lui sont adossées comme une véritable aubaine. « les sociétés low-cost pénalisent les notes de DPE car c’est beaucoup trop long de relever tous les paramètres sur place. Elles mettent les paramètres par défaut pour ne pas perdre de temps, quitte à pénaliser la note. Ceux qui procèdent ainsi vont finir par se fâcher avec les prescripteurs qui commencent à se rendre compte que cela ne vaut pas la peine de payer moins cher et d’obtenir une note de DPE dégradée qui entraine une baisse du prix de vente de 5 à 15% . Je travaille avec une belle agence qui a eu un litige à 40 000 €, pour elle, c’est fini ce genre de pratiques. Économiser sur le prix des diagnostics fait de moins en moins recette auprès des vendeurs et des bailleurs. Au contraire, ils veulent des conseils avisés. Les agences, quant à elle, se rendent compte qu’un diagnostiqueur sérieux leur donne du crédit. Et elles vendent plus facilement, parce que, lorsque le travail est bien fait, la note du DPE est généralement meilleure. Au final, les diagnostiqueurs low cost coûtent beaucoup plus cher que les diagnostiqueurs sérieux ! »

De nouveaux horizons à conquérir

Intervenant également en petite et grande couronne, Stéphane Souchaud pourrait se positionner sur l’audit énergétique réglementaire, mais il préfère attendre : « quand je vois le temps que prend un DPE, je ne vois pas comment on pourrait effectuer un audit énergétique à 300 €, prix qui circule dans la profession ». Guy Barta, dont l’activité est quasi-exclusivement située dans Paris, ne se positionnera pas non plus sur l’audit énergétique : « Comme pour les immeubles, il faut une étude thermique, je préfère faire appel à un thermicien pour prendre la suite derrière moi ».

Maintenant qu’il a acquis de l’expérience, Stéphane Souchaud envisage de se développer sur des missions à plus forte valeur ajoutée comme l’avant travaux ou le DPE collectif. Avec environ 100 000 copropriétés sur le Grand Paris dont 43 000 dans la capitale, le DPE collectif et le projet de PPT constituent en effet un réservoir immense de missions. Mais Guy Barta prévient : « Il faut essayer d’avoir une vision avant-gardiste. De nouveaux marchés sont en train de s’ouvrir avec le DPE à l’immeuble, le projet de PPT, etc. Mais cela demande un vrai savoir-faire, avec un vrai Bac+3. Quand je me suis formé en 2008, j’ai été dans des organismes dans lesquels on m’a appris à faire des chiffrages. Il ne faut pas se planter. Soit on s’adosse à un bureau d’études qui va nous aider sur le chiffrage, soit il faut être suffisamment costaud pour l’absorber ».

Un développement qui peut également être freiné par les difficultés actuelles de recrutement. En ce sens, Paris, avec sa densité, ne fait pas exception aux problématiques rencontrées au sein de la filière, mais au contraire les exacerbe.

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