G. EXBRAYAT (DIAGAMTER) : « NOUS PRODUISONS ENCORE DES DPE QUI VONT CONDUIRE TOUT LE MONDE DANS LE MUR » Technique

Publié le par Alain

Chiffres de son réseau à l’appui, Guillaume Exbrayat, président de Diagamter, s’interroge sur l’impact réel des modifications apportées au nouveau DPE par l’arrêté du 8 octobre 2021. Sans renier ses engagements et ses prises de position passées, il interpelle toutes les parties prenantes et les invite à se mettre au travail afin d’éviter que la réforme ne finisse en fiasco pour les diagnostiqueurs et génère une situation sociale et politique compliquée, le tout sans atteindre ses objectifs environnementaux.

Quel est votre regard sur la mise en place de la réforme ?

Pendant 2 ans, j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt et participé, au travers de notre implication à la CDI-FNAIM, aux travaux sur le DPE avec la DHUP. Au-delà du métier de diagnostiqueur, on se sent également concerné en tant que citoyen. Je crois beaucoup en ce nouveau DPE qui doit faire prendre conscience de l’impact environnemental des logements. C’est pourquoi, parmi les scénarios proposés, nous avions soutenu la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre dans la classification énergétique. Si les kWh sont un sujet pour le consommateur, le véritable enjeu pour le climat est la production de CO2.

Nous nous sommes tous interrogés sur le maintien de la réforme au 1er juillet 2021. J’étais parfaitement conscient, comme beaucoup de mes confrères, que techniquement ce n’était pas tout à fait prêt et que ce serait compliqué. Mais l’agenda politique et sociétal fixé par le gouvernement ne nous permettait pas de repousser la réforme, j’ai donc soutenu le maintien du calendrier. Je misais alors sur une première phase dans laquelle tout ne serait pas encore en place et tout le monde se serait ensuite assis autour de la table pour corriger sur le fond les problèmes et finaliser l’outil pour le rendre pleinement fonctionnel à la fin 2021.

Distribution des étiquettes des 9 800 DPE réalisés au sein du réseau Diagamter entre le 1er juillet et le 30 octobre 2021 (DPE V3.1)

 

Mais, ce que je n’avais pas bien mesuré, c’est le niveau d’impréparation de la réforme qui n’a pas été conduite avec une vraie gestion de projet, des phases de test et de validation. Au mois de septembre, nous avons découvert que nous étions passé d’environ 15% à 25% de biens classés F et G. Ce nombre important de biens caractérisés en passoires énergétiques rendait impossible la mise en œuvre de la réglementation à venir. Fort sagement, et j’ai d’ailleurs salué sa décision, Mme Wargon a recommandé de suspendre l’édition de certains DPE. Je m’étais alors exprimé pour dire qu’il fallait se donner le temps nécessaire pour corriger les choses. C’est à partir de là que je me suis détaché des décisions qui ont été prises. Nous venions de passer 2 ans à faire de la théorie avec des gens compétents pour élaborer des méthodes qui ne fonctionnaient pas encore parce qu’elles n’avaient pas été éprouvées sur le terrain. Mais, entre le 24 septembre et le 4 octobre, tout aurait été réglé en petit comité et sans concertation, alors que des questions posées par les thermiciens sont restées sans réponse ? Après la publication de l’arrêté, nous avons pu lire dans la presse que certains se félicitaient que tous les problèmes étaient désormais corrigés. Nous aurions dû rester prudents parce que, comme l’approche théorique nous avait conduits dans cette impasse, il fallait absolument passer par une phase probatoire d’observations avant de crier victoire.

Lorsque l’on nous a dit que nous pouvions rééditer les DPE, au passage dans des conditions d’indemnisation que je considère méprisantes et indignes par rapport au travail et à la compétence d’un diagnostiqueur, j’ai demandé à mon réseau d’attendre. Je ne voulais pas que mes franchisés soient amenés à les régénérer à nouveau en 2022 en raison d’un diagnostic pas encore stabilisé. Nous ne pourrons pas mettre en cause indéfiniment les arrêtés et ce sont les diagnostiqueurs qui seront alors traités de personnes irresponsables. C’est pour cela que dans les statistiques que nous publions sur la période novembre/décembre 2021, il n’y a quasiment pas de rééditions.

Ces statistiques de votre réseau viennent-elles confirmer votre analyse de la situation ?

Ces statistiques montrent que, même après les corrections de l’arrêté du 8 octobre 2021, nous sommes encore à 23% de biens F et G et surtout à 9,3% de biens classés G, soit 3 millions de logements, sur un parc de 36 millions, qui dans 11 mois seront interdits de location.

Distribution des étiquettes des 1 300 DPE réalisés au sein du réseau Diagamter après les correctifs apportés par l’arrêté modificatif du 8 octobre 2021 (DPE V3.1)

 

Nous croyons au DPE et à son rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais comment rénover ce parc en 11 mois ? Nous sommes en train de produire des DPE qui sont soit techniquement non stabilisés et donc frappés d’incertitudes ce qui n’est satisfaisant pour personne, soit qui amènent tout le monde dans le mur avec des dépréciations des patrimoines parce que la date du 1er janvier 2023 n’est pas tenable. Nous constatons déjà la mise sur le marché de beaucoup de biens F et G et certains de nos clients se voient contraints de négocier à la baisse parce qu’ils n’ont pas le temps de faire les travaux. Mais, s’il s’avérait demain que la date de 2023 était repoussée, voire que les seuils d’étiquette soient reconsidérés pour ne pas avoir un quart du parc frappé d’interdiction de louer, alors ces clients auront subi un préjudice en concédant des prix de vente inférieurs à la valeur du marché traditionnel en raison d’une classification non stabilisée. Cette affaire est grave et va bien au-delà des problèmes posés aux diagnostiqueurs.

« Allons-nous prendre le risque de nous retrouver avec 9 ou 10 millions de biens qui vont être déclassés avec des problématiques sociales impossibles ? »

Que préconisez-vous pour sortir de cette situation qui parait inextricable ?

La petite musique consistant à dire “on va attendre plusieurs mois pour changer”, n’est pas satisfaisante. C’est un vrai sujet : le gouvernement veut-il conserver l’objectif initial qui parait ambitieux et peut être socialement acceptable d’un volume d’environ 5 millions de passoires énergétiques sur lequel il faut concentrer la rénovation énergétique ou bien prenons-nous le risque de nous retrouver avec 9 ou 10 millions de biens qui vont être déclassés avec des problématiques sociales impossibles ?

J’appelle donc toutes les personnes qui ont des statistiques à les publier afin de confirmer cette tendance. L’ADEME en a nécessairement, mais elle considère, je crois, qu’actuellement les statistiques sont biaisées parce que tout le monde régénère des biens F et G. Ce n’est pas le cas de nos statistiques.

Ensuite, mettons en place un groupe de travail qui, fort de ces statistiques, s’emparerait des problèmes. N’attendons pas les élections pour lancer le chantier. Il faut réaliser une vaste étude d’impact afin de recalibrer les seuils d’étiquettes en cohérence avec les objectifs politiques de la réforme.Si la réponse est non, alors il faudra que l’État assume que le quart du parc de logements soit classé en passoire énergétique. Mais ce n’est pas comme cela que la réforme a été annoncée et débattue au parlement, ni comme cela qu’elle a été présentée aux diagnostiqueurs.

Par ailleurs, la date limite du 28 février pour régénérer les DPE doit être repoussée car nous risquons de continuer à rééditer des rapports qu’il faudra peut-être encore reprendre. Je demande donc que la période de réédition soit étendue au moins jusqu’au 30 juin ce qui nous donnera plus de temps pour nous pencher sur les conséquences juridiques et les questions techniques posées par les thermiciens. Et le fait d’annoncer un report de la date de régénération au mois de juin permettrait de produire des DPE qui retrouveraient de facto leur caractère informatif pour le marché, même s’ils conserveraient leur caractère opposable.

Enfin, je crois que la date d’interdiction de location des logements classés G n’est aujourd’hui plus tenable dans un tel contexte. Une décision doit être prise et annoncée rapidement afin d’éviter une dépréciation systématique des valeurs de vente de ces biens immobiliers ou que des propriétaires ne soient obligés de vendre à la sauvette et à vil prix des biens pensant qu’ils ne pourront plus les louer à compter du 1er janvier 2023, le tout sur la base de résultats probablement non stabilisés. Nous l’avons constaté avec l’audit énergétique qui ne devait pas être repoussé car c’était impossible, il l’a pourtant bien été. Le vrai préjudice est pour le vendeur. Il faut imaginer une période de 6 à 9 mois pour reprendre cette réforme et recalibrer le volume de passoires énergétiques dans des proportions acceptables.

Ne craignez-vous pas que l’image du DPE, et par conséquent celles des diagnostiqueurs, soit durablement égratignée ?

Ce qui est catastrophique c’est que le DPE, qui était probablement l’un des produits les plus médiatiques et les plus appréciés par nos clients, est aujourd’hui celui qui est le plus dénigré et le plus contesté. Je ne voudrais pas qu’on finisse par dire que le DPE c’est n’importe quoi ! Mais s’il n’est pas stabilisé juridiquement et techniquement, le DPE risque d’être considéré par tout le monde comme un document avec des résultats peu probants ne répondant pas aux objectifs que nous nous sommes collectivement fixés d’engager la rénovation énergétique des logements. Ce serait une réforme ratée. Nous n’en sommes pas là, mais il faut absolument se mettre au travail car pour le moment la réforme est non aboutie. Nous avons été parmi les acteurs à l’initiative de la création de SIDIANE. Cette position y est assez partagée. S’il fallait une explication à notre volonté d’avoir une structure de défense des intérêts qui soit nouvelle et totalement indépendante, nous en avons ici une magnifique illustration.

Propos recueillis par Mathias Lovaglio

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