DIAGNOSTIC AMIANTE ERRONÉ ET INDEMNISATION DU PRÉJUDICE Veille juridique

Cour d'appel - Jurisprudence
Publié le par Mathias LOVAGLIO

À quelques jours d’intervalle, deux décisions en appel, impliquant des diagnostiqueurs responsables de rapports de repérage amiante avant vente erronés, concluent à des modalités d’indemnisation différentes : d’un côté le paiement du désamiantage, de l’autre l’indemnisation de la perte de chance de négocier le prix d’acquisition à la baisse. Décryptage de ces arrêts avec Me Juliette Mel du cabinet M2J AVOCATS.

La cour d’appel de Paris condamne le diagnostiqueur fautif au paiement du désamiantage

Dans cette première affaire, une société acquiert en 2006 des locaux à usage professionnel comportant des dalles de sol amiantées dans la salle de réunion selon le rapport de repérage. À l’occasion de travaux, ces dalles de sol sont recouvertes d’un revêtement PVC souple.

En 2015, elle revend les locaux mais le rapport de repérage remis à l’acquéreur conclut à l’absence d’amiante. Le nouveau propriétaire engage alors des travaux de rénovation au cours desquels des investigations sont menées et concluent à la présence d’amiante dans divers locaux. Le propriétaire fait alors procéder au désamiantage des locaux avant d’assigner le vendeur et son diagnostiqueur, ainsi que le notaire en paiement de dommages et intérêts.

Le 9 janvier 2020, le tribunal de grande instance de Paris rejette ses demandes de condamnation in solidum du vendeur, du diagnostiqueur et du notaire au paiement de la somme de 116 000 €. L’acquéreur décide alors d’interjeter appel du jugement. Il expose que le vendeur a engagé sa responsabilité contractuelle en commettant une faute dolosive puisqu’il était informé de la présence d’amiante mentionnée dans l’acte par lequel il a acheté les locaux. Il ajoute que son vendeur avait connaissance de ses projets de rénovation et qu’il aurait immanquablement acquis les biens litigieux à moindre prix s’il avait été informé de la nécessité de procéder à des travaux de désamiantage d’une telle ampleur.

Dans son arrêt du 20 janvier 2023, la cour d’appel de Paris lui donne en partie raison : elle reconnait que le vendeur avait connaissance de la présence d’amiante dans les dalles de sol d’une salle de réunion, mais ne retient pas l’argument de la diminution du prix, ni celui de la faute intentionnelle. La cour d’appel rejette donc toute demande de condamnation sur le fondement de la réticence dolosive. En revanche, elle retient le vice caché pour les dalles de sol de la salle de réunion, mais pas pour le surplus d’amiante repéré à l’occasion des travaux (plinthes dans des WC et colle noire dans un sas du rez-de-chaussée).

Sur ce point, c’est bien la responsabilité du diagnostiqueur qui est recherchée. On lui reproche de ne pas rapporter la preuve d’avoir consulté le rapport précédent et d’avoir commis une faute délictuelle en ne décelant pas l’amiante et en n’émettant aucune réserve. Le diagnostiqueur se défend en rappelant que « sans travaux destructifs, il devait rechercher la présence d’amiante sur des matériaux listés A et B sans que soit mise à sa charge une quelconque obligation de résultat. Il considère qu’il n’avait pas à soulever les matériaux en place, comme le parquet et la moquette et expose qu’il ne devait contrôler que la première couche des revêtements de sol et non les colles, chapes de béton et ragréages. Il ajoute que les dalles noires du sas 4 du rez-de-chaussée sur lesquelles a été détecté l’amiante, d’une part se trouvaient sous le revêtement pvc souple, ainsi que les photos annexées au rapport le montrent et, d’autre part, se situaient hors de son champ d’intervention ». Enfin, il affirme avoir demandé au vendeur les rapports précédents qui ne lui ont pas été remis.

La cour d’appel lui reproche néanmoins de s’être contenté d’un repérage visuel sans investigation approfondie. Elle considère qu’il aurait dû « se livrer à une recherche systématique des matériaux et produits susceptibles de contenir de l’amiante le conduisant, fort de son expérience, à inspecter les parties du local où il était usuel d’en trouver, en particulier dans les colles appliquées pour les revêtements de sols dans les immeubles construits dans les années 1960, l’immeuble litigieux ayant été bâti entre 1964 et 1967 ». De plus, le repérage réalisé à l’occasion des travaux démontre que la présence d’amiante était décelable par un simple constat visuel à au moins trois endroits ce qui aurait dû amener le diagnostiqueur à procéder à des prélèvements ou, a minima, à émettre des réserves. La cour d’appel infirme donc le premier jugement et retient la faute du diagnostiqueur.

Concernant les préjudices, l’acquéreur sollicite la restitution d’une partie du prix de vente correspondant aux frais induits par la découverte d’amiante et que sa perte de chance de négocier le prix d’acquisition doit être évaluée au coût des travaux. De son côté, le diagnostiqueur expose que si sa responsabilité était retenue, seul le surcoût lié au désamiantage des parties de locaux qu’il aurait dû signaler peut lui être réclamé. La cour d’appel revient sur la décision en première instance et décide de limiter le préjudice aux seuls postes faisant référence aux travaux de désamiantage. La responsabilité du notaire n’étant finalement pas retenue, elle décide donc de condamner in solidum le vendeur et le diagnostiqueur pour le désamiantage des dalles de sol (21 600 €), et le diagnostiqueur seul pour le désamiantage des WC et du sas au rez-de-chaussée (62 000 €).

« La cour d’appel de Paris rappelle (mais il est toujours bon de le rappeler), que la responsabilité du diagnostiqueur amiante avant vente ne se trouve engagée ‘’que’’ (sic) lorsque le diagnostic n’a pas été réalisé conformément aux normes édictées et aux règles de l’art et lorsqu’il se révèle erroné », explique Juliette Mel. « Il appartient donc au demandeur (souvent le vendeur dans le cadre d’un appel en garantie après sa mise en cause par l’acquéreur) de le démontrer. Mieux, sans même préciser si cette norme avait été contractualisée (ce qui reste plus que souhaitable), les conseillers se réfèrent à la norme NF X46-020 pour déterminer le périmètre d’investigation du diagnostiqueur. Après, il est encore rappelé, à juste titre, en application d’une jurisprudence désormais constante, que si cette faute est caractérisée, non seulement le vendeur dispose d’une action en responsabilité contractuelle contre le diagnostiqueur mais la faute délictuelle de ce dernier est également caractérisée, ce qui fonde le recours de l’acquéreur à son encontre ».

La cour d’appel de Montpellier limite l’indemnisation à la perte de chance

La seconde affaire concerne l’acquisition d’une maison en 2014. 6 mois après son achat, l’acquéreur fait réaliser un nouveau repérage qui conclut à une présence plus importante d’amiante dans les dépendances, la chaufferie, le garage et les combles. L’acquéreur se tourne alors vers la justice qui ordonne une mission d’expertise judiciaire.

Le rapport d’expertise conclut à la présence d’omissions et de non conformités dans le rapport du diagnostiqueur qui ont conduit à un déficit d’information de l’acquéreur. De plus, le diagnostiqueur, lors d’un précédent repérage réalisé deux ans avant la vente, avait bien localisé de l’amiante dans un local piscine mais ne l’a pas mentionné dans son rapport avant vente.

Par jugement du tribunal de grande instance de Montpellier du 24 juillet 2019, le diagnostiqueur et son assureur sont condamnés in solidum, entre autres, au paiement de la somme de 145 600 € correspondant au coût des travaux de désamiantage. L’acquéreur interjette tout de même appel afin d’obtenir des préjudices accessoires s’élevant, selon lui, à près de 39 000 € (indemnisation de l’arrêt des travaux, relogement pendant le désamiantage, etc.).

Le diagnostiqueur et son diagnostiqueur demandent, de leur côté, à être mis hors de cause ou, si la faute du diagnostiqueur est confirmée, à voir l’indemnisation du préjudice limitée à la perte de chance de négocier le prix d’achat de la maison. Le diagnostiqueur affirme avoir parfaitement réalisé sa mission et rempli ses obligations tant contractuelles que réglementaires. Il rappelle qu’il n’était tenu d’examiner que les seuls panneaux visibles et accessibles lors de sa visite, que la présence des plaques amiantées situées sous les tuiles composants les toitures n’avait rien d’évident dans le cadre d’un constat visuel et non destructif effectué depuis l’intérieur des locaux dans les seules parties visibles et accessibles, que l’oubli de retranscrire la présence d’amiante dans le local piscine n’est dû qu’à une erreur matérielle de plume et, enfin, qu’il n’y a pas de relation causale entre la prétendue faute du diagnostiqueur et la présence d’éléments amiantés. Il prétend ainsi que le coût des travaux ne saurait être qualifié de préjudice, lesquels ne sont ni nécessaires ni obligatoires, concernant les préjudices locatif et de jouissance paisible du bien, les rapports concluant à l’habitabilité de la maison sans aucun danger pour la santé de ses occupants.

Dans son arrêt du 26 janvier 2023, la cour d’appel de Montpellier va lui donner en partie raison et infirmer en plusieurs points le jugement en première instance. Elle confirme bien la faute du diagnostiqueur, mais s’appuie sur le rapport de l’expert judiciaire indiquant l’absence de risques pour la santé des occupants, pour écarter le lien de causalité entre la présence de produits amiantés non signalés et la nécessité de réaliser les travaux de désamiantage. Aussi, la cour d’appel considère que les travaux d’embellissement réalisés par l’acquéreur ne l’obligeaient pas au désamiantage puisque les matériaux et produits amiantés ne l’empêchaient pas de jouir du bien acquis. L’indemnisation de l’ensemble du désamiantage constituerait alors un enrichissement de l’acquéreur selon la cour. Elle décide donc de limiter le préjudice aux dommages-intérêts correspondant à la perte de chance de négocier une baisse du prix d’achat de la maison. Cette perte de chance est évaluée à 40 000 € (5% du prix de vente).

« Cet arrêt de la cour d’appel de Montpellier, prolonge la précédente décision en se concentrant sur le préjudice », analyse Juliette Mel. « En l’espèce, le rapport contenait des erreurs et des omissions. Pour autant, le préjudice ne peut correspondre au montant de la totalité des travaux de désamiantage, ce qui reviendrait à faire supporter au diagnostiqueur la totalité des travaux non-obligatoires. Il y aurait là un enrichissement non-justifié. La condamnation liée à la faute du diagnostiqueur ne peut donc être constituée que de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance de négocier une baisse du prix d’achat de la maison ».

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